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Ce que j’ai lu aux morts…

Dossier paru dans la revue Po&sie, nr 142, Paris, 2013

Traduit du polonais par Jean-Yves Potel, Alex Dayet,  Yvette Métral, Agnieszka Grudzinska

 

6.4.2013

Jean-Yves Potel: I plan to publish in bilingual (French and in Polish) the totality of the Szlengel poetry written during the War. Our main source is the Maciejewska edition’s (in 1979), the anthology of Borwicz and the archives of the ZIH.  I’ll write a short historic introduction. The work is planned for 2014 by the publishing house Belin.

 

 Ce que j’ai lu aux morts… introduction, Jean-Yves Potel

Conversation avec un enfant

Sonnettes

Règlement de comptes

Les choses

La clé se trouve chez le concierge

Contre-attaque (Version I)

Contre-attaque (Version II)

Deux morts

La petite gare de Treblinka

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Wladyslaw Szlengel: Ce que j’ai lu aux morts…  

By Jean-Yves Potel

    Des poètes écrivaient dans le ghetto de Varsovie. Jusqu’au dernier moment. Ils disaient leurs textes, on les recopiait, les faisait circuler, on les lisait au fond des bunkers, dans les greniers. On les apprenait aux enfants. C’étaient des poèmes en langue yiddish – comme ceux d’Yitskhok Katzenelson[1], les plus connus – ou  en langue polonaise.

 

    Les textes polonais de Wladyslaw Szlengel (1914-1943), « passaient de mains en mains et de bouches à oreilles », a rapporté une rescapée, Halina Birenbaum. « Ils étaient écrits dans la fièvre de la passion, alors que se déroulaient des événements qui nous semblaient les derniers du siècle. Ils interrogeaient nos sentiments, nos pensées, nos besoins, nos souffrances et nos combats implacables pour chaque minute de vie supplémentaire. J’ai récité certains de ces poèmes dans le ghetto à l’occasion de réunions ou de petites manifestations pour collecter de l’argent […]. J’avais douze ans[2]. » 

 

   Bien après la guerre, en tombant par hasard sur la première édition des textes par Irena Maciejewska[3], Halina les a aussitôt reconnus. Elle les a traduits en hébreu. De mémoire, elle y a ajouté « Règlement de compte » qu’on lira plus bas, et dont le manuscrit avait été perdu. Jusqu’à ce qu’un autre survivant, également adolescent dans le ghetto, le retrouve dans ses papiers… Puis d’autres poèmes sont découverts, au milieu des années soixante, dans le double plateau d’une vieille table qu’un Polonais débitait en bois de chauffage…

 

   Ainsi ont vécu et survécu les textes de Wladyslaw Szlengel, un jeune poète assassiné à l’âge de vingt-neuf ans, lors de la révolte du ghetto en 1943. Nous ne savons pas grand-chose de lui, sinon qu’il est né en 1914 à Varsovie, dans un milieu juif cultivé. Son père réalisait des affiches de cinéma. Il reçoit une éducation polonaise et il commence des études commerciales. Très vite, il publie des poèmes et rencontre un public dans une revue satirique des plus fameuses de la capitale, « Szpilki ». Il y développe son humour et son art de la caricature, à l’instar des plus grands poètes juifs d’expression polonaise de l’époque (le duo Julian Tuwim et Antoni Slonimski excellait). Il publie également des pièces plus graves au ton parfois prémonitoire dans le grand quotidien sioniste en langue polonaise (Nasz Przeglad),qu’il intitule par exemple : « N’achetez pas le calendrier du nouvel an » ou bien « Une génération effrayée ».[4]  

 

Au ghetto, il aurait été un temps membre du service d’ordre juif qu’il quitte certainement avant les grandes déportations. Il continue ses revues satiriques au fameux café « Sztuka », rue Leszno, où chante Wiera Gran accompagnée du pianiste Wladyslaw Szpilman, et il lui écrit une chanson –  « Son premier bal » – un grand succès à l’époque[5]. Il est surtout le maître de cérémonie  du Journal vivant [Zywy dziennik ], une performance quotidienne devant un public dense, tenant la chronique drolatique de la vie du ghetto. Avec une autre chansonnière (Pola Braun), un comédien et un chanteur, ils se moquent des gros bonnets du ghetto, racontent des histoires de rue, lisent des poèmes. C’est une grande attraction. Emmanuel Ringelblum, qui n’appréciait guère son style littéraire, souligne sa popularité : « Ses poèmes exprimaient les humeurs du ghetto. Ils étaient déclamés et récités. […] Ceux qui les entendaient étaient émus au larmes »[6]. Szlengel se voit surtout « chroniqueur des noyés ». Un poète non résigné. Galvanisé par le succès de la première action militaire juive, le 18 janvier 1943, il se rapproche des combattants, écrit un poème manifeste, « Contre-attaque », griffonné et distribué en au moins deux versions. Halina Birenbaum raconte avoir entendu son frère Chilek, âgé de vingt ans, le déclamer le 18 avril, la veille de l’insurrection de 1943. 

 

Les derniers mois de 1942-1943, Wladyslaw Szlengel ne se produit plus au café qui a fermé, il se déplace dans les « ateliers » notamment au quartier des brosseries. Nous avons un témoignage direct, le décrivant passant ses journées à écrire et à préparer ses performances. Les réunions sont clandestines et de plus en plus risquées. Il décide alors de les « publier » et il recopie ses textes seuls, des journées entières sur une machine à écrire par douzaine d’exemplaires. Il cherche aussi de l’aide à l’extérieur du ghetto, en vain. Ses contacts ne donnent rien[7].

 

Il forme une liasse de textes qu’il donne aux archives clandestines organisées par Emmanuel Ringelblum, c’est un recueil avec une préface pour publication après la guerre. Il nous laisse, explique-t-il, des « poèmes documents » qu’il a lu à « des gens qui croyaient encore en leur survie » ; il veut en faire « un journal intime » du « fond de l’enfer ». Depuis, ces gens ont disparu : « En moins d’une heure, poursuit-il, ces vers sont devenus ce que j’ai lu aux morts… »  Szlengel disparaît à son tour dans le bunker de Szymon Kac, au 36 de la rue Swietojerska, liquidé le 9 mai 1943[8].

 

Les poèmes présentés ici, en attendant une édition complète et bilingue, ont tous été écrits dans le ghetto, entre 1942 et 1943. Leur force ne provient cependant pas des seules circonstances. La tension qui les habite est soutenue par une écriture très moderne, au ton direct et lucide, souvent ironique. L’auteur évite le lyrisme et la métaphore, ne boude pas le grotesque ou la caricature. Les poèmes de Szlengel ont été publiés pour la première fois à Lodz dans une anthologie de Michal Borwicz[9], puis en 1977 à Varsovie par Irena Maciejewska. Mais, pour des raisons inexplicables, ils n’ont jamais été rassemblés en français en un volume.  Les traductions proposées ici, se réfèrent aux textes établis en 1977 sur la base des manuscrits conservés à l’Institut historique juif. Deux autres sont inédits (« Règlement de compte » et « La clé se trouve chez le concierge »), ils n’avaient pas été retenus, mais se trouvent dans le dossier Szlengel à Varsovie.

 

Jean-Yves Potel 


[1] Auteur notamment du Chant du peuple juif assassiné, (traduction du yiddish par Batia Baum, Ed. Zulma, Paris 2007.)

[2] Préface à son édition en hébreu des poèmes de Szlengel, accessible en anglais sur l’internet : http://www.zchor.org/szlengel/szlengel.htm

[3] Wladyslaw Szlengel: Co czytałem umarłym. Edition d’Irena Maciejewska,PIW, Warszawa 1977.

[4] Natan Gross, article reproduit su le site internet cité plus haut.

[5] Voir Agata Tuszynska, Wiera Gran, l’accusée, Editions Grasset, Paris 2011, pp.103-106

[6] Cité par Samuel D.Kassow, Qui écrira notre histoire ?, Editions Grasset, 2011, p. 450

[7] Témoignage de Szymon Rogozinski, cité in Barbara Engelking & Jacek Leociak, The Warsaw Ghetto, a guide to the
perished city, Yale University Press, 2009, p.590.

[8] Ibid.

[9] Michal M. Borwicz Piesn Ujdzie Calo, Antologia Wierszy o Zydach Pod Okupacja Niemiecka, Lodz 1947.

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Władysław Szlengel

 

Conversation avec un enfant

 

Mille neuf cent quarante deux.

La mère et l’enfant. Un atelier, un immeuble…

Le visage livide de l’enfant,

la mère aux cheveux blancs.

Dis-moi mère, demande le petit,

que signifie : loin… 

Loin  c’est au-delà des montagnes,

des forêts et des rivières…

Loin signifie rails…

Loin, c’est un voyage en mer,

des bateaux et des grands espaces bleus,

et des montages au soleil pourpre…

Loin, on trouve des îles dorées

et le souffle des brises parfumées,

une verdure humide

et le sable doux et sec.

Mais comment expliquer à l’enfant

le sens du mot : loin…

Quand il ignore ce qu’est une montagne,

ou à quoi ressemble une rivière…

quand il n’a pas comme sa mère…  pas comme moi

ces images plein les yeux,

alors comment expliquer à l’enfant

le sens du mot : loin…

Loin, cher enfant

(une larme frémit sur les cils)

loin, c’est comme de notre immeuble

jusqu’aux ateliers Toebbens[1]

Et dis-moi maman chérie

que signifie : autrefois

Autrefois, c’est une soirée en ville,

avec des lampes qui brillent, des néons…

C’est le calme d’un appartement tranquille

et un bon poêle allumé.

Autrefois, c’est un gâteau de Ziemianska[2],

autrefois, c’est dîner en écoutant la radio

autrefois, c’est lire  chaque matin Nasz Przeglad[3]

et aller le soir au cinéma Palladium.

Autrefois, c’est un mois à la mer,

des photos d’une excursion

ou d’un mariage sous le voile,

et du pain blanc sans paille…

Mais comment expliquer à l’enfant

ce passé clair et glorieux

quand il ne sait rien… absolument rien…

comment expliquer : autrefois…

Tu vois, mon enfant chéri,

déjà triste et vieux,

autrefois, ça signifie quand autrefois…

ils ne nous rationnaient pas le miel…

Et dis-moi, maman, dis-moi

C’est quoi, ce que j’entends la nuit…

ces longs  sifflements… au loin…

qu’est-ce qui siffle, et pour quoi faire….

 

Comment expliquer à l’enfant,

quel exemple quel motif prendre,

pour expliquer le sifflement  nocturne

et lointain d’une locomotive…

Comment expliquer les rails

et la longue route vers l’infini

la joie des voyages en wagon lit

et dans des express fous.

Gares, signaux, aiguillages,

nouvelles villes, rues,

billets, changements, bagages,

journal, buffet et porteur.

Les petites lumières nocturnes qui scintillent

et  les trainées blanches des fumées.

Comment expliquer…  et pour quoi faire,

qu’il existe encore un monde quelque part au loin ?...

Ça veut dire, mon garçon,

toi qui tords tes mains de tristesse,   

que ce monde peut être plus loin que Toebbens…

et encore plus loin que le miel…

 Traduit du polonais par Jean-Yves Potel
 

[1] Ateliers allemands dans le ghetto.

[2] Le café « Ziemianska », lieu de l’avant-garde littéraire à Varsovie, était aussi célèbre pour ses gâteaux.

[3] Notre Revue, principal quotidien sioniste en langue polonaise, paru à Varsovie de 1923 à 1939.

 

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Władysław Szlengel

 

Sonnettes

 

Sur la porte une feuille de papier

juste lisible de près :

« La sonnette marche, prière de sonner »

et trois noms :

                Madame L. un coup,

                Monsieur K. deux coups

                et pour le Docteur trois coups…

La feuille  a été accrochée,

pour informer les gens.

C’était avant la Sélection

qui a emporté…

                Madame L. (un coup)

                et monsieur K. (deux coups)

                et ce docteur (trois coups…).

 

La feuille « prière de sonner »

accrochée à la porte,

la porte ouverte,

et derrière la porte : l’effroi…

 

Plus de poignée : arrachée,

parce qu’ils l’ont trouvée bloquée…

ils ont poussé les deux battants de la porte,

les noirs[1] se sont invités.

Des affaires abandonnées à la hâte

dans une poursuite sauvage,

et sur la porte la feuille accrochée

avec les noms et «… sonner » :

Madame L. un coup,

                Monsieur K. deux coups

                et pour le Docteur trois coups…

 

D’autres sont venus : ils ont fait le ménage,

ils ont mis de nouvelles poignées,

n’ont pas enlevé la feuille de la porte.

Ils l’ont oubliée.

 

Tombe le crépuscule : l’heure grise,

on s’approche du soir,

des coins les ténèbres montent,

chassent quelque chose hors du logement…

 

On ne sait quoi de terrible et sombre,

macabre, morne, envoûtant,

souffle la mort et le mal.

Je sais :

Eh bien ! Qu’ils sonnent à la porte

une, deux ou trois fois,

les ombres glissent sur les murs

telles des spectres ou des brouillards.

 

C’est pour moi, c’est pour moi,

je perçois de sourds chuchotements,

ils sont contents de sonner,

lèvres mortes et sèches.

 – Un coup, c’est pour moi !

peut-être la visite de mon fils…

Maintenant à nouveau deux coups…

voici  les voisins chez moi…

 

Par le couloir sans lumière

des locataires fantômes - - -

…maintenant, ils sonnent trois coups…

c’est pour moi, c’est un malade…

 

Et l’acharnement furtif

là près de la poignée… près du mur,

et un soupir et une souffrance

car la main est sans force,

pour des ombres il n’est guère commode

d’éclairer le couloir,

d’ouvrir la porte… de saluer,

ah, c’est vous… quoi de neuf ?…

 

Dans la journée c’est calme,

nul ne fait le guet dans la cache…

Au crépuscule - - -

angoisse…

On sonne.

Tu y vas…

à tout coup tu heurteras quelque chose du pied …

épouvante…

                Tu ouvres la porte - - -

                … personne…

– c’est chez eux…

(car sur la porte

la feuille est accrochée : Sonner…

                Madame L. un coup,

                Monsieur K. deux coups

                et pour le Docteur trois coups…)

 

Traduit du polonais par Yvette Métral et  Jean-Yves Potel

 

[1] Supplétifs des nazis qui portaient des uniformes noirs.

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Władysław Szlengel

 

Règlement de comptes 

 

Était-ce un rêve (quoique...)

ou les effets d'un spiritueux...

Côte à côte, Dieu et moi,

nous faisions nos comptes – tous les deux.

 

Dieu, ce vieil homme

à longue barbe blanche,

au regard plein de grâce,

ne portait pas de brassard[1].

 

Muni, disait-on,

d'un passeport uruguayen,

il arrivait en ligne droite

du paradis – sans Kennkarte[2].

 

J'ai saisi un grand livre,

et lui une plume waterman,

j'ai ouvert le compte de la Foi

« eh bien voilà... »

 

Derrière moi trente-deux années

de satiété ou de misère.

Jusqu'alors, Seigneur,

mon crédit était toujours ouvert.

 

J'entendais : « Prie »

et je priais

J'entendais : « Jeûne »

et je jeûnais.

 

Des jours entiers sans manger,

sans une goutte sur les lèvres,

pour ta gloire, Seigneur,

et tes lois d'un autre monde.

 

Pour que tu fasses le bilan de mes actions,

j'ai prié dans le scintillement

harcelant des bougies

et le tumulte des synagogues.

 

J'entendais : « Ne vole point »

et je n'ai point volé.

J'entendais : « Ne mange pas de porc »

(j'aime ça) et je me suis abstenu.

 

J'entendais : « C'est la volonté de Dieu... »

J'entendais : « Chemin de Dieu »

J'entendais « Sois fidèle »

et pour Dieu, j'ai réfréné mes ferveurs.

 

J'entendais : « Ne tue point ! »

et je n'ai point tué.

« Tu n'auras pas d'autre Dieu que moi »

Je m'en suis acquitté.

 

Sans oublier les dates

des fêtes agréables

et des fêtes difficiles,

dix de chaque dans l'année.

 

J'ai dû résider dans une soukka[3],

avec boissons amères et pain azyme...

faire pénitence,

délaisser mes tâches.

 

Je me suis noué les mains avec une sangle[4],

la nuit je dévorais des livres,

j'ai mortifié ma chair.

Pardon... mais dans quel but ?

 

Je disais : « Dieu nous viendra en aide »,

je disais : « Dieu nous sauvera »,

je croyais que Dieu était avec moi,

je disais : « Et cætera... »

 

Eh bien ! Jette un œil sur le livre,

Regarde ! La page

de tes bienfaits à mon égard :

Elle est vide.

 

Ils me frappent au visage

et je ne m'enfuis pas.

Animal traqué dans son terrier, j'attends...

Mais aucun signe de toi.

 

Faim, froid, mélancolie.

Le chemin disparaît dans la friche et

la mort fait le vide.

Mais je ne pleure pas... j'attends.

 

Supplications, plaintes, famine,

Cent mille prières

Cinq cent mille « Amen »

semés aux quatre vents.

 

Que donnes-tu

en échange de mes actions ?

Cet immeuble, cette plaque, cette place[5] ?

Des tickets de rationnement ou Treblinka ?

 

Attends-tu de moi qu'après-demain

pour tout testament

je dise encore « Amen »

avant le gaz prussique ?

 

Brise ton silence, dis quelque-chose,

regarde le livre de comptes !

Toi, mon associé pour la vie,

règle ta créance...

 

Après plusieurs verres,

le vieil homme débonnaire

a saisi un crayon à papier. Il a dit...

Alors, je me suis réveillé.

 

Était-ce un rêve ordinaire

ou les effets du spiritueux ?

J'ignore encore si le bilan

eût été rassurant.

 

Traduit du polonais par Alex Dayet
 

[1] Un brassard portant l’Étoile de David.

[2] Allusion aux passeports sud-américains censés permettre aux Juifs de quitter le ghetto et la Pologne. Il s’agissait en fait d’une escroquerie relayée par des Allemands, qui coûta la déportation et la mort à ceux qui se les étaient procurés à prix d’or. Kennkarte : carte d’identité délivrée par l’occupant.

 [3] « Cabane » éphémère construite à l’automne, à l’occasion d’une fête religieuse juive (« Soukkot »).

[4] Sangle retenant le phylactère que les Juifs portent pour la prière.

[5] Allusions au ghetto, au sauf-conduit porté autour du cou par les Juifs autorisés à circuler, à l’Umschlagplatz dont partent les transports pour Treblinka.

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Władysław Szlengel

 

Les choses

 

Des rues Hoza, Wspolna et Marszalkowska[1]

s’en allaient les chariots… les chariots juifs…

les meubles, les tables et les tabourets,

les valises, les balluchons,

les coffres, les caisses et les chaussures,

les costumes, les portraits,

la literie, les casseroles, les tapis

et les draperies pour les murs.

Le kirsch, les bocaux, les pots,

les verres, l’argenterie, les bouilloires,

les livres, les babioles, et tout ça

va de Hoza à  Sliska.

Dans le manteau, la bouteille de vodka 

et un morceau de cervelas.

En chariots, en rickshaws et charrettes,

la morne horde va…

Puis de Sliska vers Niska

est reparti tout ça.

Meubles, tables et tabourets,

valises, balluchons.

Literie, casseroles – mon cher monsieur,

mais cette fois sans les tapis.

Plus trace d’argenterie,

déjà plus de kirsch,

de costumes, de chaussures,

de bocaux, de portraits.

Sont restées rue Sliska toutes ces bagatelles,

la bouteille de vodka dans le manteau

et le morceau de cervelas.

En chariots, en rickshaws et charrettes,

la morne horde va …

Et de nouveau on a abandonné Niska

et tout est parti vers les blocs.

Ni meubles ni tabourets,

ni casseroles ni balluchons.

Perdus bouilloires,

livres, chaussures, bocaux.

S’en sont allés au diable

costumes, argenterie.

On balance tout ça dans le rickshaw

Il y a encore la valise et le manteau,

la bouteille de thé,

le bout de caramel.

A pied, sans chariots,

va la morne cohorte …

Puis des blocs vers Ostrowska

s’en va la route juive

sans balluchons, balluchons

sans meubles ni tables,

sans tapis ni bouilloires,

sans argenterie ni bocaux,        

à la main une seule valise,

une chaude écharpe… c’est tout,

il y a encore la bouteille d’eau

et la musette à bretelles ;

piétinant les choses, les troupeaux

la nuit sont passés par les rues.

Et d’Ostrowska aux blocs

sont passés dans le jour assombri du crépuscule

valise et musette,

– plus besoin à présent d’autre chose –

en rangs… en rangs par cinq,

ont marché par les rues.

Nuits froides, jours raccourcis,

demain… peut-être après-demain…

au coup de sifflet, au cri ou sommation

reprend la route juive…

                                                                rien dans les mains, à part

de l’eau – et la puissante pastille…

De l’Umschlagplatz en longeant la ville,

loin là-bas, jusqu’à Marszalkowska,

dans les maisons vides prolifère

la vie, la vie juive.

Dans les logements abandonnés

s’entassent balluchons,

costumes et couvertures,

assiettes et tabourets,

rougeoient encore les foyers,

gisent les couverts désœuvrés,

éparpillées dans la hâte, là

les photographies de famille…

Le livre encore ouvert,

la lettre avec une demi-phrase… « Ça va mal »…

le verre à moitié bu,

le jeu de cartes avec sa partie interrompue.

Le vent par la fenêtre remue

la manche d’une chemise froidie,

gît la couverture froissée

comme si on s’y était blotti,

gisent les choses abandonnées,

l’appartement inanimé

jusqu’à ce que les pièces se peuplent

de gens nouveaux : les Aryens…

Ils fermeront la fenêtre,

commenceront une vie sans souci

et referont le lit

avec sa couverture juive,

laveront la chemise,

remettront les livres sur l’étagère,

videront le café du verre,

finiront la partie entre eux.

Seulement dans un wagon quelconque

il restera tout juste 

la bouteille à moitié vidée

et une puissante pastille…

Et dans la nuit d’horreur qui viendra

après des jours de balles et de glaives,

sortiront des coffres et des maisons

toutes les choses juives.

Elles sauteront par les fenêtres,

et passeront dans les rues

pour s’entasser sur les chaussées

au-dessus des noires voies ferrées.

Toutes les tables et tous les tabourets,

les valises et les balluchons,

les costumes, les bocaux,

l’argenterie, les bouilloires,

s’en iront, disparaîtront,

et personne ne saura ce que ça veut dire,

que les choses soient parties ainsi,

et que personne ne puisse plus les voir.

Mais sur la table du jugement

(si testis veritas victi[2]…)

demeurera la pastille

comme corpus delicti.

 

Traduit du polonais par Yvette Métral

[1] Rues de Varsovie. En 1940, les rues Hoza, Wspolna et Marszalkowska sont restées dans la zone dite « aryenne », et la rue  Sliska  était dans le grand ghetto, puis après les grandes déportations de juillet 1942, les Allemands ont réduit le périmètre à quelques blocs d’immeubles, dont les rues Niska et Ostrowska.

[2] « Le témoin est la victoire du vaincu »

 

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Władysław Szlengel

 

La clé se trouve chez le concierge

 

Je t’ai vu hier dans la rue,

blafard, complètement ivre

Monsieur blonde-tignasse

dont la vie a croisé la mienne.

 

Tu t’es payé la gueule de l’hydre juive

et tu mènes une vie plutôt pépère

dans ma fourrure de loutre.

La clé se trouve chez le concierge.

 

Moi, je suis encore vivant !

jusqu'à demain ou après-demain.

Et toi, dans ma fourrure,

que penses-tu du « Rein arische Paradiz » ?

 

Nous nous connaissons depuis longtemps

La vie ne m'a pas toujours été favorable.

De chaudes larmes nous ont rapprochés

et une très longue marche, Monsieur Wisniewski.

 

Nous nous connaissions bien avant la guerre :

voisins dans la même cour.

Pour surveiller ma porte, tu prenais de généreux pourboires.

La clé se trouve chez le concierge.

 

Cinq zlotys effaçaient les races.

Tu m'apportais du bois de chauffage

et pour ma philosophie du « Leben lassen »[1]

tu m'aimais beaucoup, Monsieur Wisniewski.

 

En décembre, avant le premier gel

du manifeste hivernal

tu débarrassais de sa naphtaline la fourrure

de Szlengel, le poète, – le Juif !

 

Et lorsque j'écoutais le vent

traduisant sa douleur dans un poème

ou lorsque j'écrivais pour le théâtre

que la vie n'est point triste.

 

Lorsque j'offrais à ton esprit septentrional

ma fantaisie orientale

pour insuffler quelques couleurs

à la grisaille de ta vie.

 

Lorsque je disais mes histoires de cours,

lors de promenades immémoriales.

Toi, Monsieur, mon Wisniewski chéri, tu surveillais ma porte.

La clé se trouve chez le concierge.

 

Puis un cri a déchiré le ciel.

La terreur s'est abattue sur le sol.

Elle a dansé avec les bombes et les grenades.

Elle a hurlé comme une chienne et s'est repue de mort.

 

J'étais déjà ton compagnon

avant le chemin long et triste.

Je t'avais revu, mon Wisniewski

sur la route menant au front, vers Kutno.

 

Pour la liberté de lendemains communs

un ciel dégagé à l'aurore

et notre pays – main dans la main

nous marchions, moi le poète et toi, Wisniewski[2].

 

Tu me tutoyais et moi aussi.

Je bouffais dans ta gamelle.

J'entonnais avec toi « Rozmaryn »[3],

des chansons polonaises... les nôtres, les miennes.

 

La nuit mordait sous notre couverture commune.

L'adversité stigmatisait nos corps jusqu'au sang.

Tu me murmurais dans la nuit noire :

Ô camarade... nous luttons pour Varsovie !

 

Au bout du chemin

vers Kutno dans la forêt

le shrapnel a brisé net nos espoirs :

les miens et ceux de mon ami Wisniewski.

 

Au pied de Varsovie humiliée,

essuyant une chaude larme

nous nous sommes quittés : « Salut Wladek »

« Salut Wisniewski, prenons soin de nous ».

 

Puis tu as oublié que le vent et la tempête

nous avaient, toi comme moi, maltraités.

Tu cires les chaussures des nouveaux maîtres.

La clé se trouve chez le concierge.

 

Hier dans la rue j'ai été le témoin

d'une scène que tu ne me piqueras pas :

ta gueule pintée et si heureuse

tanguait dans ma fourrure de loutre.

 

Tu as gagné la guerre, mon Wisniewski

que t'importe le lendemain ?

comment te sens-tu, canaille avinée

dans ma fourrure volée ?

 

Eh oui, tu devras me dénoncer

tu crains que cette unique fourrure

– LA MIENNE

ne puisse nous réchauffer tous les deux.

 

J'ai perdu la partie contre toi, mon Wisniewski

pas de quoi fouetter un chat

ainsi va la vie lorsque l'on confie pour plus tard

la clé de chez soi au concierge.

 

Traduit du polonais par Alex Dayet

[1] La tolérance.

[2] Allusion à la campagne de septembre 1939, durant laquelle soldats polonais et juifs étaient mobilisés ensemble dans l’armée polonaise, ici près de Kutno, une ville à l’ouest de Varsovie.

[3] « O moj rozmarynie » [Ô mon romarin] ou « Rozmaryn », chanson patriotique polonaise populaire pendant la Première Guerre mondiale et la guerre russo-polonaise.

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Władysław Szlengel

 

Contre-attaque (Version I)

 

18 janvier 1943[1].

 

Comme par dégout de tout, silencieux, ils entraient dans les wagons

en adressant des regards soumis aux Saulys[2].

                                                        Du bétail !

Les officiers se félicitaient de ne pas devoir s’énerver,

que les hordes suivaient une marche hébétée.

Les cravaches claquaient

pour la parade : Dans les gueules !

Sur la place[3], la foule silencieuse trébuchait.

Avant de s’engouffrer dans le wagon,

elle versait son sang et ses larmes sur le sable.

Nonchalamment, les « maîtres » jetaient leurs paquets sur les cadavres :

« Warum sind Juno rund »[4].

Jusqu’à ce jour, où sur la ville endormie par la Stimmung[5],

ils sont tombés comme des hyènes dans la brume matinale,

et le bétail s’est réveillé en montrant les crocs.

Le premier coup de feu a éclaté dans la rue Mila[6].

Un gendarme se tord sous un porche.

Il garde l’aplomb un instant, éberlué,

en tenant son épaule fracassée :

« Je saigne ! » 

Les brownings retentissent dans les rues Niska, Dzika, Pawia.

Dans l’escalier où une vieille mère vient d’être traînée par les cheveux,

gît le cadavre du SS Handtke.

Bizarrement enflé,

comme s’il n’avait pas digéré sa mort, comme étouffé par la révolte,

il a craché du sang sur son paquet – Juno sind rund , rund, rund,

et mordu la poussière sans savoir-vivre.

La roue tourne.

Rue Pawia, rue juive, en uniforme bleu clair,

                            un gendarme gît sur un escalier souillé,

ignorant que chez Schultz et Toebbens[7],

les balles sifflent joyeusement.

La viande se révolte, la viande se révolte ! La viande se révolte !

La carne crache des grenades par les fenêtres,

la carne vomit des flammes écarlates et s’accroche à des carcasses de vie.

Hé ! Quelle joie de tirer dans le blanc des yeux !

Ici, c’est le front, les dandys !

Hier trinkt man mehr kein Bier,

Hier hat man mehr kein Mut,

Blut, Blut, Blut.[8]

Enlevez vos gants de peau fine et claire,

déposez vos cravaches, enfilez vos casques.

Et demain, publiez ce communiqué :

« Nous nous sommes fait river le clou chez Toebbens.  »

C’est la révolte de la viande, la révolte de la viande, le chant de la viande !

Écoute, Dieu des Allemands, la prière des Juifs dans leurs maisons de « sauvages ».

Avec nos pieds-de-biche et nos barres,

nous te réclamons, Dieu, une lutte sanglante,

et nous t’implorons : accorde-nous une mort violente,

qu’avant le trépas, nos yeux ne voient pas défiler les rails.

Donne, Seigneur, de la précision à nos doigts,

que le bleu de l’uniforme livide rougisse.

Offre-nous ce spectacle avant que nos gorges rauques ne poussent leur dernier soupir.

Leurs cravaches arrogantes tremblent

d’une peur humaine, comme la nôtre.

Comme des fleurs ensanglantées,

dans les rues Niska, Mila et à Muranow,

le feu pourpre de nos canons éclot.

C’est notre printemps ! La contre-attaque !

                        Le vin de la lutte nous enivre !

Les petites rues Mila et Ostrowska sont nos forêts de partisans.

Nos numéros d’immeuble tremblent sur nos poitrines.

Ce sont les médailles de la guerre juive.

Un cri en toutes lettres s’illumine de rouge.

Le mot « REVOLTE » frappe comme un bélier,

et dans la rue, le sang colle à un paquet piétiné : « Juno sind rund ! »

Traduit du polonais par Alex Dayet

 

[1] Jour de la deuxième grande déportation, mais aussi de la première action de résistance lancée par l’organisation juive de combat (ZOB). Suite à cette résistance les Allemands stoppent momentanément les déportations.

[2] « Chasseurs » en lituanien, police supplétive lituanienne.

[3] L’Umschlagplatz, place du ghetto de Varsovie d'où partaient les convois pour Treblinka.

[4] Juno : marque de cigarettes fumées à l’époque ; une publicité vantait leur forme bien ronde (« Juno sind rund »).

[5] Ambiance (en allemand).

[6] Au 61 rue Mila, c’est Mordechaï Anielewicz et son groupe, qui lancent l’attaque.

[7] Ateliers allemands dans le ghetto.

[8] « Ici, on ne boit plus de bière. Ici, le courage fait défaut. Du sang, du sang, du sang ».

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Władysław Szlengel

 

Contre-attaque (Version II)

 

Comme par dégout de tout,

silencieux  ils entraient dans les wagons

en adressant des regards soumis aux Saulys.

Du bétail !

 

Les beaux officiers se félicitaient

de ne pas devoir s’énerver,

que les hordes suivaient une marche hébétée.

Les cravaches claquaient

uniquement pour la parade :

Dans les gueules !

Sur la place, la foule silencieuse trébuchait.

Avant de s’engouffrer dans le wagon,

elle versait son sang et ses larmes sur le sable.

Nonchalamment,

les « maîtres »

jetaient leurs paquets :

« Warum sind Juno rund ».

Jusqu’à ce jour,

où sur la ville endormie par la Stimmung,

ils sont tombés comme des hyènes dans la brume matinale,

et le bétail s’est réveillé

en montrant les crocs.

Le premier coup de feu a éclaté dans la rue Mila.

Un gendarme se tord sous un porche.

Il garde l’aplomb un instant, éberlué,

en tenant son épaule fracassée.

Il n’en croit pas ses yeux.

Tout était si facile…

Un service rendu, une protection,

l’avaient soustraient au chemin vers l’Ost

(Quelques jours de satisfaction) :

Se reposer à Varsovie,

pousser le bétail

et nettoyer la porcherie.

Mais ici,

dans la rue Mila : c’est le SANG.

Le gendarme sort du porche

en hurlant : « Je saigne ! »

Les brownings retentissent

Dans les rues Niska,

                    Dzika,

                                Pawia.

Dans l’escalier où une vieille mère

vient d’être traînée par les cheveux,

gît le cadavre du SS Handtke.

Bizarrement enflé.

Comme s’il n’avait pas digéré sa mort,

comme étouffé par la révolte,

il a craché du sang

sur son paquet : « Juno sind rund »,

Rund, Rund,

et mordu la poussière sans savoir-vivre.

La roue tourne.

Rue Pawia, rue juive,

En uniforme bleu clair, un gendarme

gît sur un escalier souillé,

ignorant

que chez Schultz et Toebbens,

les balles sifflent joyeusement.

La viande se révolte,

la viande se révolte !

La viande se révolte !

La carne crache des grenades par les fenêtres,

la carne vomit des flammes écarlates

et s’accroche à des carcasses de vie.

Hé ! Quelle joie de tirer dans le blanc des yeux !

Ici, c’est le front, les dandys !

Le front, Messieurs les planqués !

Hier

trinkt man mehr kein Bier,

Hier

hat man mehr kein Mut,

Blut,

Blut,

Blut.

Enlevez vos gants de peau fine et claire,

déposez vos cravaches, enfilez vos casques.

Et demain, publiez ce communiqué :

« Nous nous sommes fait river le clou chez Toebbens.  »

C’est la révolte de la viande,

La révolte de la viande,

le chant de la viande !

Écoute, Dieu des Allemands,

la prière des Juifs dans leurs maisons de « sauvages ».

Avec nos pieds-de-biche et nos barres,

nous te réclamons, Dieu, une lutte sanglante,

et nous t’implorons : accorde-nous une mort violente,

qu’avant le trépas, nos yeux

ne voient pas défiler les rails.

Donne, Seigneur, de la précision à nos doigts,

que le bleu de l’uniforme livide rougisse.

Offre-nous ce spectacle avant que nos gorges

rauques ne poussent leur dernier soupir.

Leurs cravaches arrogantes tremblent

d’une peur humaine, comme la nôtre.

Comme des fleurs ensanglantées,

dans les rues Niska, Mila et à Muranow,

le feu pourpre de nos canons éclot.

C’est notre printemps ! La contre-attaque !

Le vin de la lutte nous enivre !

Les petites rues Mila et Ostrowska

sont nos forêts de partisans.

Nos numéros d’immeubles

tremblent sur nos poitrines,

Ce sont les médailles de la guerre juive.

Un cri en toutes lettres s’illumine de rouge.

Le mot « REVOLTE » frappe comme un bélier

………………………………………………….

………………………………………………….

Et dans la rue, le sang colle

à un paquet piétiné :

 « Juno sind rund ! »

 

Traduit du polonais par Alex Dayet

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Władysław Szlengel

 

Deux morts

 

Votre mort et notre mort

sont deux morts différentes.

Votre mort est une mort puissante

qui déchire les corps en quartiers.

Votre mort vient dans des champs gris

fertilisés par le sang et la sueur.

Votre mort – c’est la mort par balles

pour quelque chose – pour la Patrie.

Notre mort est une mort stupide,

dans un grenier ou dans une cave,

notre mort, mort de chien

arrive au coin d’une rue.

Votre mort sera décorée d’une croix,

mentionnée dans un communiqué,

Notre mort – mort en gros,

sera mise en terre – et au revoir.

Vous saluez votre mort

dans un face-à-face à mi-chemin,

notre mort est une mort cachée

enfouie sous le masque de la peur.

Votre mort – une mort normale,

mort humaine, pas difficile,

notre mort – mort tas d’ordures

mort juive, mort vile.

Notre mort est une pauvre cousine

de votre mort éloignée.

Quand votre mort rencontre la nôtre

elle ne la salue jamais.
Et dans la nuit au travers des nappes de brouillard

sur la ville, dans l’enfer des ténèbres,

les deux morts se lancent des injures,

se maudissent  furieusement.
Sur un petit mur, regardant de deux côtés,

la vie observe furtivement cette querelle,

toujours la même vie

– cupide, maline, méchante.

 

Traduit du polonais par Agnieszka Grudzinska

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Władysław Szlengel

 

La petite gare de Treblinka

 

Sur la ligne Varsovie-Tluszcz

qui part de Warschau-Ost,

prendre le chemin de fer

et c’est tout droit….

 

Le voyage dure

cinq heures moins une,

ou  parfois  il dure

toute une vie, jusqu’à la mort…

 

La  gare est minuscule,

avec trois sapins,             

juste un écriteau :

gare de Treblinka.

 

Pas de guichet,

ni de porteur,

ni même pour un million

de billet de retour…

 

A la gare personne n’attend,

n’agite son mouchoir,

seul un silence accueille

par un vide profond.

 

Se tait le signal d’arrêt

se taisent les trois sapins,

se tait l’écriteau noir,

… gare de Treblinka.

 

Seul pendouille encore

(sûrement une réclame)

un vieil écriteau délabré :

« Cuisinez au gaz. »

Traduit du polonais par Jean-Yves Potel.

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Jewish women in the ghetto Warsaw

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