Halina Birenbaum
« La vie comme l'espoir »
Ma jeunesse et le siècle de l'Holocauste
Survivante des années de tragédie de
l'Holocauste, j'ai retrouvé ma liberté avec le vide au cœur. Orpheline dans les ruines de Varsovie, je me trouvais
suspendue dans le vide. Il n'y avait rien autour de moi, rien en moi...
Pourtant je tenais une miche de pain dans les mains et pouvais la découper à volonté, mais j'étouffais entre
mes quatre murs, j'étouffais en moi.
Je ne voulais pas imiter ma
mère qui s'occupait seulement de son intérieur, de la cuisine et du ménage avant la
guerre, mes quinze ans pesaient davantage que son âge!
Quel chemin ai-je traversé de mon enfance
jusqu'à la vieillesse, jusqu'à la mort des années de guerre et d'occupation.
Combien de fois, paralysée par la peur,
j'ai regardé la mort dans les yeux, dans le suspense des derniers moments ; tant
de monde brûlait sous mes yeux - comment affronter la vie quotidienne en liberté avec ces images et ces voix hantant ma mémoire ?
Je rêvais que si je
survivais à cet enfer, j'habiterai une île déserte... Si je survis... car dans mon cas, cela était très peu probable, les lois nazies condamnant
tout le peuple juif et, en premier, les vieillards, les malades et les enfants à l'extermination.
Je vivais de façon illégale, même dans les
camps. Là, seuls les êtres jeunes et aptes au travail d'esclavage étaient autorisés, mais même cela dépendait des
besoins du moment...
Les autres étaient gazés tout de suite. Ma vie sauve et mon existence sont
dues à une suite de hasards... jusqu'à aujourd'hui.

Halina
Birenbaum, survivante de l'holocauste, écrivain et poète, 2002
En septembre 1939, j'avais dix ans et étais élève de troisième année à l'école primaire.
Mes parents m'aimaient, j'avais
deux frères aînés, des grands-parents maternels, paternels et une
grande famille. Nous étions
une famille modeste. Marek, mon frère aîné, âgé de onze ans de plus que moi, étudiait la médecine, très doué et travailleur, Hilek, sept ans de plus
que moi, était élève à l'école professionnelle, mon père travaillait comme représentant de commerce, ma mère s'occupait de notre foyer et brodait au
crochet pour gagner un peu d'argent.
Apprenant la nouvelle de la
guerre très
proche, mes grands-parents maternels et les sœurs de ma mère avec leurs familles arrivèrent à Varsovie.
Ils pensaient que, dans
la capitale, ce serait plus facile de vivre qu'à Zelechow, ville de province. Ma
famille paternelle resta à Biala Podlaska, à l'est de la Pologne.

Ma mère Pola
Perl (née Kijewska) à Zelechow, avant la guerre.
Le 1er septembre, la
sirène d'alarme
retentit, et ce fut pour moi la fin de l'école.
Le ciel de Varsovie se couvrit
d'escadrons de Messerschmitts allemands, les bombes incendiaires et
destructrices se déversèrent sur la ville. Les incendies se déclanchèrent partout, on ne pouvait pas les éteindre. Les maisons s'écroulaient, des milliers de gens furent
ensevelis sous les décombres.
Cet enfer dura trois
semaines. La nourriture et l'eau manquaient. Dans les magasins brûlés, on pillait
les boîtes de conserves, les concombres en saumûre, la confiture. Les gens
transportant de l'eau de la Vistule, succombaient sous les éclats des
bombes et des obus. Le jour
et la nuit, on entendait le bruit des détonations, on voyait les lueurs des incendies, on
sentait l'odeur de brûlé et de
décomposition
des cadavres, on entendait le rugissement des sirènes et la voix des hauts-parleurs annonçant : « attention, ils arrivent,
ils viennent de passer, ils arrivent... ! »
Le jour de la plus grande fête juive, « Yom-Kippour », les Allemands
bombardèrent
avec acharnement le quartier habité par
les juifs et notre rue fut incendiée. C'était la nuit, après une période de jeûne
et de prières ferventes. Nous sortîmes en courant de la maison en flammes en emportant quelques objets,
trouvant abri dans une cave appartenant à des gens que nous connaissions. Cet
endroit était surpeuplé, sentait à la fois le moisi et la respiration des gens. Un indescriptible sentiment d'accablement nous
envahissait.
Certains, particulièrement traumatisés, perdaient la raison, bredouillant des
mots insensés.
J'observais les adultes. Leurs visages et leurs comportements reflétaient les évènements violents qui se déroulaient. Le monde s'écroulait autour d'eux. Mon insouciance
d'enfant s'évanouissait.
Enfin, tout devint silencieux
mais ce fut le silence de la défaite,
de la destruction et du deuil. Dans les rues, on voyait les gens avec leurs
baluchons. Ma famille commença également à chercher un toit. Pour la première fois, je vis les Allemands, ils
marchaient au pas, hautains dans les rues détruites de Varsovie. J'avais l'impression
de voir un mur de péril,
de mort invincible, s'abattre sur nous. Les gens se bousculaient pour obtenir
du pain, les soldats allemands tiraient les juifs de la queue pour les maltraiter.
Nous trouvâmes une chambre chez une dentiste paralysée par les bombardements, son mari dentiste était mort avant la guerre. Elle vivait
avec ses enfants, deux filles et un fils, prothésiste, occupant une pièce. Les quatre autres pièces et la cuisine étaient louées. Sa fille cadette Elusia, âgée de deux ans de plus que moi et son autre fille
Erna, d'un an plus jeune que moi, habitant une autre pièce avec leurs parents, devinrent mes
amies. Nous habitâmes
ensemble jusqu'à la déportation.
Sur l'ordre des Allemands, tous
les juifs, à partir
de l'âge de
douze ans, devaient porter un brassard blanc avec une étoile de David bleue sur l'avant-bras
droit pour les différencier
des autres dans la population. Les nazis organisaient les rafles de juifs, les fusillaient sous
n'importe quel prétexte ou sans aucun prétexte. Les juifs n'avaient pas le droit de prendre les
trams ni les trains, de prier dans les synagogues ni de se
rassembler en groupes plus importants. A partir de sept heures du soir le
couvre-feu était obligatoire.
Dans la journée la foule inondait les rues. Un trafic de vêtements usagés, de draps, de
linge s'installa afin de vendre et ensuite d'acheter du pain de plus en plus
cher et de qualité de plus en plus médiocre, des pommes de terre gelées, de la semoule et du bois humide. Pourvu que
nous puissions survivre au jour le jour, espérant qu'après la défaite des Allemands la vie
redeviendrait normale - pensions-nous.
Mais la terreur augmentait
chaque jour. Les maladies et
la faim sévissaient.
De temps en temps, une voix déchirante
s'élevait,
annonçant :-
« Les Allemands ! » et les camions arrivaient dans les rues
surpeuplées.
Les soldats SS descendaient et tiraient en direction
des gens qui fuyaient, ils arrêtaient
les hommes au cri de « Halt!»,
les rouaient de coups et les dirigeaient vers les camions. Ils entraient dans
les maisons et les boutiques juives pour les piller, emportant des meubles, de
la marchandise et d'autres objets. Leurs propriétaires, surtout les hommes, les pères, et les fils, étaient fusillés.

Muranowska à
Varsovie, avant la guerre.
Les rumeurs au sujet du ghetto
pour les juifs se confirmèrent, les
prédictions
les plus invraisemblables, s'avérèrent être
vraies. A la fin de l'automne 1940, un haut mur nous sépara des aryens. Sur l'ordre des
Allemands, tous les juifs devaient quitter leurs appartements dans l'heure et
se rendre dans le quartier le plus misérable de Varsovie qui leur était destiné. Les autres juifs de province, venant de
petites villes et de villages, furent contraints au même sort. Ceux qui étaient faibles ou malades furent tués dans leurs lits ou sur la route.
Des centaines de milliers de gens
n'avaient plus de toit, plus rien ! Ils vivaient dans des écoles surpeuplées et d'autres bâtiments publiques qu'on appelait «Les points ».
Ces gens, vivant dans la saleté, mourraient
massivement de faim et d'épidémies. On manquait d'abris pour loger
toutes ces personnes déplacées. Gonflées par la faim, gelées, elles s'étendaient dans les rues, dans les cours,
sur les paliers, et mendiaient. Les rues étaient jonchées de cadavres, recouverts de journaux, car on
n'arrivait pas à les
ramasser, il fallait attendre une charrequi les transportait vers les fosses
communes.
paces gens, apprenant la vie dans un monde d'abîme et de destructions. D'autres enfants et
moi jouions dans la rue en nous heurtant à la foule, en pésence de ces cadavres recouverts de
journaux.
Plus tard, « le conseil
'immeuble » nous demanda de faire une collecte d'argent pour aider des
mendiants et des voisins soufrant de la faim. Nous attachions de petits rubans de
papier aux passants pour qu'ils nous donnent quelques sous. Parfois nous
organisions des soirées
chez des familles plus aisées en
déclamant
de la poésie et
en chantant les chansons d'avant guerre ou du ghetto. Evidemment, seuls les enfants qui n'avaient pas été encore
affaiblis par la faim participaient.
A cette époque, ma
famille n'avait pas encore faim. Marek travaillait dans un hôpital juif et
gagnait de l'argent en soignant des malades. Un propriétaire polonais de l'usine de
conserves « Maggi »,
pour qui mon père servait d'intermédiaire dans les livraisons de marchandises vers la Galicie, nous
fournissait au ghetto des haricots, du sucre et des conserves au lieu de payer
mon père en liquide Nous éprouvions de plus en plus de difficultés à acheter quelque
chose avec de l'argent, lequel perdait constamment de sa valeur alors que les
prix des produits montaient d'heure en heure. L'usine de Monsieur Strojwons se
trouvant à la limite de la frontière du ghetto, nous pouvions entretenir le contact avec lui de temps à autre.
Les produits ainsi obtenus étaient le plus
souvent revendus pour acheter du pain, des pommes de terre et du bois pour nous
chauffer.
Dans ces conditions
j'arrivais encore à m'instruire sous le contrôle sévère de mon frère aîné et à acquérir les
connaissances équivalentes aux trois années d'études entre la troisième classe de l'école primaire
et le collège. Marek m'apprenait également le français, peut-être pour oublier la triste réalité - ou peut être dans
l'espoir qu'après la guerre je ne serais pas en retard dans mon éducation...
Je lisais également
beaucoup de poésies que j'apprenais très rapidement par cœur.
Cela me permettait
d'oublier la terreur ambiante, les mauvaises nouvelles des victoires allemandes
sur les fronts, de l'extermination des juifs par le gazage à Chelmno, Belzec
et le plus horrible de tout, à Auschwitz !... A partir de onze
ans. je commençais à écrire ce qui se passait autour de nous, ne
supportant plus l'accumulation de toutes ces atrocités et des commentaires désespérés des adultes.
Deux fenêtres de notre
chambre furent couvertes de contre-plaqué, une flamme qui sortait du tuyau à gaz nous
servait de lumière, plus tard, ce fut une lampe à pétrole malodorante. Nous dormions par
terre, mes parents et mes deux frères sur des matelas et moi, la plus jeune, sur
une couverture (ce sort me révoltait. mais ma mère avait pour principe qu'il fallait céder la place aux personnes plus âgées). Quand tous les juifs furent enfermés dans le ghetto, les amis de mes parents
nous donnèrent
un divan, une table et quatre chaises. Encore une fois, j'étais obligée de céder... il manquait la cinquième chaise. Par
contre, j'obtins le matelas de mes frères qui dormaient déjà sur le divan.
Heureusement notre rue fut inclue
dans le ghetto et nous n'étions
pas obligés,
comme la plupart des juifs, de chercher un autre logement. A plusieurs
reprises, les Allemands diminuèrent
la surface du ghetto, les gens n'avaient plus de toit et restaient tout
simplement dans la rue, ils mourraient massivement. La famille de notre
dentiste souffrait de la faim depuis le début puisque personne ne payait son loyer et ne
soignait ses dents.
Deux ans de Ghetto s'écoulèrent. Je rêvais qu'un matin, au réveil, les Allemands quitteraient Varsovie,
disparaîtraient
aussi subitement de notre vie qu'ils y firent irruption. A la fin du mois de
juillet 1942, ils collèrent
partout des affiches en polonais et en allemand annonçant le déplacement de la population juive vers l'est.
Seules les quelques personnes indispensables travaillant dans les échoppes et dans les usines du côté aryen, fabriquant des uniformes et des chaussures
pour l'armée
allemande, pouvaient rester. Ces juifs obtiendraient des « Aussweise » - des laissez-passer. Bientôt ces « laissez-passer » prirent
la valeur de « permis de vivre » et se vendirent à des prix exorbitants.
La panique et le désespoir se propagèrent dans tout le ghetto. La nouvelle du suicide de A.
Czerniakow, président du conseil juif, arriva au comble de nos malheurs. Le président, obéissant toujours aux ordres allemands,
avait refusé de
signer l'ordre de déportation
et ce geste provoqua la divulgation des suppositions les plus incroyables. Immédiatement, toute la nourriture disparut.
Les mots : action, blocage, déportation,
wagons, « Umschlagplatz »
exprimèrent
notre seule réalité et la seule véritable préoccupation dans notre vie. Nous n'avions
pas encore pris connaissance de Treblinka... L' « Umschlagplatz ou
simplement Umschlag » était
une grande place délimitée et gardée, devant l'école à Stawki, que Hilek avait fréquenté jusqu'au début de la guerre. C'est ici que
stationnaient les wagons à bestiaux
destinés à la déportation journalière des juifs, raflés par les Allemands.
....... Les premiers déportés furent les expulsés, vivant dans les
« points », ensuite, ce fut au tour des mendiants de la rue, des
malades, des infirmes, de ceux enflés par la faim, des gelés.
Je ne posais pas de
questions à mes parents, je ne leur demandais rien et ne m'étonnais de rien
- la peur de la mort était omniprésente, on la lisait sur le visage des gens. Même les petits enfants comprenaient
que pour se cacher et ne pas être déporté vers « l'Est », énigmatique et terrifiant,
il fallait se taire, parfois retenir sa respiration, se soustraire à la vue de tous,
dissimuler son être illégal dans le noir, ne pas laisser entendre le battement de son cœur...
Nous nous vêtîmes de nos meilleurs vêtements, en couches superposées : linge, robes, pulls, mîmes même nos
meilleures chaussures pour pouvoir nous changer ou faire le troc contre de la
nourriture si nous étions pris et déportés dans un terrible camp. Ma mère
prit un peu de provisions dans un panier : de la farine, de la semoule, du
sucre en morceaux, une bouteille d'huile. Nous fîmes nos adieux à nos voisins. A
ce moment, nous ne savions pas qu'on se quittait pour toujours.
L'appartement de la tante Féla, la sœur
cadette de ma mère, se trouvait dans une autre rue au cinquième étage. Nous
pensions qu'on ne viendrait pas nous chercher si haut pour nous emmener à « l'Umschlag»...
Ma mère voulait rester près de sa sœur bien aimée. Les Allemands
sortirent mon oncle du train, malgré ses papiers en règle et le fusillèrent. Leur fils Kuba du même âge que Hilek
fut déporté au travail obligatoire à Starachowice et nous perdîmes sa trace.
C'était encore avant les déportations à Treblinka... Ma tante avait seulement sa fille Halina près d'elle, qui était de deux
ans mon aînée. Nous restions ensemble.

Ma mère Pola Perl (née
Kijewska) sur la gauche, accompagnée de sa sœur à Zelechow; Pologne, avant la
seconde guerre mondiale.
Cette photo m'a été remise par Mme
Vinograd, amie de ma mère ayant émigrée en Israël avant la seconde guerre
mondiale. Je n'ai pu retrouver de photo de père et de mon frère pendant cette
période.
Les rafles commencèrent vers huit heures du matin et ce
jusqu'au soir.
Tous les jours, les rues furent
bloquées,
des milliers de juifs arrêtés et conduits en colonnes à « l'Umschlag». Les maisons et
appartements furent fouillés à chaque étage, les cachettes dans les greniers et
dans les caves également.
Les portes cédaient
sous les coups des barres de fer, le bruit des fusillades retentissait, les
coups pleuvaient et les gens furent forcés de se mettre en colonne dans la rue d'où ils partaient sous l'escorte armée des soldats SS vers les wagons.
Tous les jours, le nombre de juifs
déportés atteignait 15 000 à 17 000, le remplissage maximum des wagons !
Les actions prenaient de plus en
plus d'ampleur et le nombre de gens raflés augmentait. Les rues se vidèrent, maculées de traces de sang. Les maisons et les
appartements abandonnés
subsistèrent -
ville fantôme
avec des objets éparpillés : photos, lettres, oreillers éventrés, plumes volant de partout. A chaque sifflement de locomotive
mon cœur se serrait, je pensais :-« tu partiras aussi, c'est ce qui
t'attend, une destination horrible et la fin de tout !... »
Mon père trouvaun grâce à unparent,
nous n'avions pas d'argent pour payer un pot-de-vin. Ainsi, en tant que juif « productif », il obtint le
certificat qui devait le protéger,
lui, sa femme et moi. Le directeur de l'uside chaussures, propriétaire de cette usine avant guerre,
l'embaucha. Cependant, ni ce travail bien payé, ni les responsabilités qui en écoulaient ne le sauvèrent de la mort à Treblinka.
Un sort semblable attendait sa
femme et ses trois enfants. Personne ne pouvait échapper au verdict d'extermination prononcé par les Allemands.
Marek travaillait toujours à l'hôpital qui fonctionnait pour l'instant, cela
donnait l'impression que certaines personnes, les meilleures, celles qui
avaient été choisies, pourraient échapper à la déportation, avaient les droit de vivre...
Il avait donc un laissez-passer.
Hilek était
engagé pour
travailler à « l'Umschlag»,
en tant que juif productif, son numéro en métal le soustrayait à la déportation. Son travail consistait à débarrasser la place des Juifs tués par une fusillade ou lors de
l'entassement dans les wagons.
La première fois qu'il revint de ce travail, son
regard exprimait la terreur.
Cette expression sur son visage
me transporta à des siècles de mon adolescence. J'oubliais la faim qui me tenaillait
constamment, je perdis même l'envie de manger quelques cuillères de pâtes à l'eau. S'éclairant à la bougie, ma mère les faisait cuire dans un
appartement vidé de ses habitants. Je ne pensais plus à chiper un
morceau supplémentaire de sucre dans le panier de ma mère. Dans nos cachettes, elle nous
les distribuait de temps à autre comme un médicament. Encore aujourd'hui, j'ignore où cette petite femme faible trouva le
courage et la force pour cuire ces pâtes dans ces moments-là ?
L'expression du visage de Hilek
me montra un profond désespoir
dans lequel il ne restait plus rien de notre éducation, de notre savoir transmis depuis
des générations, où tout perdait son importance, devenait sans
valeur, restait loin derrière nous...
Tout d'un coup, dans ma conscience, je devins mûre avant l'âge, comme si j'avais saisi l'essentiel des
plus grandes œuvres du monde, celles
qui n'avaient pas été écrites par la main d'un homme. Je compris
l'incompréhensible
et le secret de la survie, le reste devint futile, piètre et absurde. Je regardais mon frère Hilek tenant sa tête entre ses mains et bredouillant :
« ne me demandez pas ce qu'ils font avec ces gens là-bas !!! »
Dans les cachettes étroites et malodorantes, dans les moments
d'extrême
tension, je me serrais contre ma mère,
tenant sa main avec force, retenant ma respiration au bruit des bottes qui
s'approchait et au cri glaçant le
sang dans nos veines : « Halt,
Jude ! » Puis
tout près, j'entendais des gémissements de douleur, des coups de feu comme si j'y étais !
Le calme de ma mère, sa maîtrise, sa
confiance et sa volonté opiniâtre de vivre m'apprenaient à me conduire dans ces
conditions : la petite fille que j'étais mûrissait vite, j'étais sensible
et intuitive. L'exemple de ma mère m'aida à traverser cette longue et impossible route, inondée de morts -
cette route qui menait à la vie.
Nous passâmes des
semaines de plus en plus difficiles dans des caves et greniers sans possibilité de nous laver,
de manger, de nous déchausser par crainte d'être surpris et déportés vers l'Est. Déjà des centaines de milliers de juifs avaient subi la déportation,
parmi eux, des membres de notre famille proche. Le nombre des orphelins
augmentait et nous étions impuissants.
La nuit tomba lorsque nous
descendîmes du grenier pour prendre un peu d'air dehors, ne craignant pas les rafles aussi tard. Mon père rentrait tout juste du travail et Hilek
de « l'Umschlag ».
Nous étions tous
ensemble, fatigués après une journée aussi longue que l'éternité.
Soudain, nous fûmes surpris
par des soldats allemands, lettons et lituaniens qui étaient arrivés sur des pousse-pousse des quatre
coins de la rue. Notre
cachette dans le grenier surchauffé devint
alors le paradis perdu, appartenait à une
autre époque...
Le mot « Halt ! » nous transporta dès lors dans un univers nouveau. C'est nous
quatre qui ouvrirent le cortège
d'une colonne qui grandissait avec l'arrivée des ouvriers revenant du travail en
partie aryenne. Ce fut le guet-apens pour tous ces gens qui travaillaient et
possédaient
les meilleurs laissez-passer.
Notre parcours se couvrit
petit à petit de pommes de terre, d'oignons, de sucre (provenant) de (la)
contrebande. Nous étions cernés des deux côtés du cortège par nos bourreaux, tout puissants, nous n'avions pas le droit de
bouger. Au moindre mouvement,
les soldats tiraient sur les gens et les battaient. Je mûris d'un siècle.
Ma mère essaya de me
calmer, expliquant que nous irions travailler à la campagne et que
nous ne craignions rien étant jeunes et en bonne santé. Je devais dire
que j'avais 17 ans.
Elle me pinça les joues
pour que j'aie une bonne mine et épingla sur ma tête mes deux nattes en couronne, ce
qui me grandissait un peu. Jusqu'à un certain point, tout cela m'intéressait et
m'impressionnait.
Désormais, je faisais partie de cette
immense colonne de gens angoissés au plus haut degré. Toute l'attention de ma mère se concentra sur moi, comme si elle voulait
me protéger et me défendre. Jamais auparavant elle ne s'été occupée de moi de cette façon. J'avais
l'impression qu'elle voulait pénétrer mon destin. Nous arrivâmes à « l'Umschlagplatz »,
surpeuplée par les juifs raflés ce jour. La foule se bousculait, criait ! Les gens enfiévrés cherchaient
des cachettes, de l'eau, des enfants perdus, des proches. Ils voulaient avant
tout partir ensemble.
Les Allemands installèrent subitement une mitrailleuse, la
dirigeant vers la foule qui devint silencieuse. Nous sentîmes s'approcher le moment ultime... Nous nous serrâmes très fort tous les quatre, en nous regardant dans les
yeux comme si nous nous quittions pour toujours. Bientôt nous ne serions plus là. Hilek pourrait partir, il serait obligé d'emporter les cadavres. Mais il resta
avec nous. Mon père
nous enlaça avec force. Ma mère me regarda avec amour et
recueillement : «- tout homme doit mourir un jour - dit-elle -nous
allons mourir ensemble, n'aie pas peur, cela n'est pas si terrible... » Au
delà de toute angoisse, j'étais soulagée ; même la mort me paraissait petite et sans importance face à la force des sentiments de cette dernière étreinte en pleine humanité et dépassant toute autre
chose.
Nous entendîmes le sifflement de la locomotive, le
train arrivait. La mitrailleuse était
devenue inutile. Les gendarmes allemands, les soldats SS, les polices juive et
polonaise s'abattirent sur nous. La foule fut poussée vers les wagons avec les crosses des
carabines et des bâtons.
On entendait des coups de fusils, des cris, des injures, des pleurs. Mon père crut qu'en montrant son laissez-passer
devant le wagon nous serions libérés. Hilek, en possession d'un numéro de travailleur à « l'Umschlagplatz » , devait être
libéré. Mais ma mère n'était pas de cet avis. Elle prit ma main et
la main de Hilek en nous tirant loin du train. Mon père voulut la persuader de ne pas s'éloigner car nous pourrions nous perdre. Le
principal était
de rester ensemble !
Soudain, comme s'il sortait d'un
souterrain, un groupe des policiers juifs entoura mon père. Leurs matraques s'abattirent sur lui. Il essaya
de se protéger des coups avec ses bras, puis il céda, se pencha sous les matraques et
disparut dans la foule pour toujours. Je n'ai aucune photo de mon père. Ce fut la
dernière image de lui qui me resta devant les yeux, pour la vie.
Hilek voulut suivre mon père en criant à ma mère : « -Viens dans le train, nous serons
avec tous les juifs, nous partagerons leur sort. Nous ne survivrons pas, toutes les cachettes
sont connues ici, ils nous tueront et je serais obligé d'emporter vos cadavres, je ne veux
pas vivre ce moment! » J'en avais assez, moi également, je ne voulais plus me
cacher, vivre dans l'angoisse, je préférais rester parmi cette masse humaine qui dégageait une
certaine force. Mais ma mère n'écoutait pas, elle nous dit calmement :
« -Que vous êtes bêtes mes enfants, le train, c'estla mort,
nous aurons toujours le temps d'y aller... » Finalement touse c, nous restâmestoules trois dans coin de la place. Des
baluchons, des affaires éparpillées, des chaussures perdues s'étalaient partout, dans une d'espace vide
ressemblant à un
cimetière
terrifiant.
Hilek nous cacha dans un égout où nous faillîmes étouffer.
Plusieurs fois, il en sortit des cadavres. Heureusement, par manque de place
dans wagons, un petit groupe de juifs demeura dans un bâtiment de la police. Nous restâmes avec eux jusqu'au matin, à l'arrivée du nouveau
train. Ma mère soudoya un policier juif. Il était d'accord pour nous laisser
sortir d'ici vers la « liberté » et son prix était :
deux kilogrammes de riz et le costume de mon père caché au grenier. Le prix habituel de la
sortie de « l'Umschlag »
était de 10 000 ( ?) par « tête ».
Nous vécûmes à nouveau des
rafles, des cachettes
et des supplices. Au mois de septembre, le jour du nouvel an juif (Rosh
Hashanah), nous passâmes une nouvelle « sélection », appelée « la rafle
de la rue Mila ». Des dizaines de milliers de gens furent déportés ce jour-là. Tout le monde
savait déjà ce que signifiait le départ vers l'Est : des wagons et « l'Umschlagplatz», c'était la mort
dans les chambres à gaz, à Treblinka ! D'un
demi million de juifs du ghetto de Varsovie, il n'en restait qu'une dizaine de
milliers. Nous étions
parmi eux, mais sans mon père.
Nous vivions dans une atmosphère de destruction : ville dévastée et de plus en plus vide, le nombre d'orphelins
augmentait toujours, les familles étaient
séparées. Ma mère travaillait dans une échoppe confectionnant des uniformes pour
les soldats allemands. Moi,
cachée sous sa machine à coudre, je cousais des boutons pour avoir le droit à la vie. Le
ghetto fut réduit, il englobait quelques rues séparées et devint un camp de travail.
Hilek et Marek travaillaient dans la partie aryenne de la ville. Ils
rapportaient de la nourriture troquée contre des objets trouvés dans les
appartements vidés de leurs habitants, déportés. Les juifs avaient
le droit de sortir de
chez eux pendant une heure en matinée, quand ils allaient travailler, et une heure en
soirée,
quand ils rentraient du travail. Les soldats SS étaient constamment présents dans le ghetto, ils fusillaient,
tendaient des guets-apens dans les greniers que les gens empruntaient pour
passer clandestinement d'une rue à l'autre.
Mon frère Hilek se maria. Les parents de sa femme
Héla,
d'origine de Bydgoszcz, furent déportés pendant « l'action » de la rue Mila. Pendant
cette rafle, nous nous cachâmes au
grenier parce que ma mère
avait perdu son « Aussweis ».
Heureusement, car pendant ce temps-là, les Allemands embarquèrent toutes les personnes de son échoppe, sans faire de différence. Son laissez-passer, nous le retrouvâmes à la maison parmi
les objets éparpillés.
La rumeur se rependit que
les Allemands liquideraient définitivement le ghetto au printemps. Varsovie devait être « Judenrein » -
« nettoyé des juifs » ! Une construction fiévreuse des bunkers souterrains
commença, nous espérions qu'après la défaite allemande à Stalingrad, la guerre ne durerait pas longtemps et que nous pourrions
survivre. Les bunkers furent équipés de châlits, de nourriture, d'eau, de
ventilateurs, de leviers en fer pour s'échapper des wagons, parfois d'armes et de
poison. Pourvu qu'on ne soit pas déporté à Treblinka !
L'insurrection juive se préparait. Ceux qui demeuraient encore dans le ghetto sans famille
n'avaient plus rien à perdre. La responsabilité collective n'avait pas d'effet. Avant Pâques, nous passâmes du « petit Ghetto » à la rue Mila où ma mère trouva des
places dans un bunker qu'elle avait été obligée de payer.
Les gardiens allemands du
groupe des travailleurs avec lesquels nous décidâmes de passer dans la rue Mila, étaient extrêmement brutaux.
Pour ne pas être repérés, Marek laissa toute la nourriture préparée. Il devait la rapporter le lendemain... Ma mère prit seulement son panier avec la
farine, des morceaux de sucre et une bouteille d'huile, cela n'attirait pas
l'attention.
Dans la rue Mila, nous
rencontrâmes inopinément Erna et sa mère. Nous avions eu l'impression de rencontrer deux fantômes vivants,
sortant de notre passé, proche et lointain à la fois. Elles insistèrent pour que je
me rende chez elles, nous avions tant à nous raconter ! Mais Marek s'y
opposa, nous ne devions pas nous séparer. Personne n'était sûr de l'heure suivante...
Marek retourna dans l'appartement pour chercher la nourriture que nous avions
laissée.
Pâques, le 19 avril 1943, « Leil Haseder ». Ma mère nous réveilla violemment la nuit :
-« Debout ! Les Allemands ont enccerclé le ghetto, il faut descendre dans le
bunker et vite ! ». Nous descendîmes en hâte, apeurés, cherchant du secours dans la pénombre du sous-sol qui nous coupait
du monde extérieur. L'intérieur était peu éclairé, l'air pesant, il faisait chaud. On entendait des cris, des voix qui se
querellaient, provenant des châlits surpeuplés et des passages étroits. Il y avait davantage de gens que de places. Sur le châlit, on pouvait bouger uniquement en
position allongée.
Les Allemands n'allaient plus
chercher les gens chez eux pour les tirer dehors en cassant les portes,
maintenant ils incendiaient des rues entières et toutes les maisons. Les gens brûlaient
vifs, la fumée les
asphyxiait, ceux qui fuyaient étaient
fusillés ou
emmenés à « l'Umschlagplatz ». Les
incendies ne touchaient pas les bunkers mais les Allemands les inondaient. Le bunker d'Erna à Nalewki fut
submergé d'eau. Quelques dizaines de personnes en moururent. Marek m'avait interdit hier (ou était-ce il y a un siècle ?) de rester avec mon amie...
Lui, fut également coupé de nous. Dans notre cachette, nous vivions la nuit,
nous dormions le jour, les Allemands et leurs aides ne cherchaient pas les
bunkers la nuit.
Nous nous évanouissions de
faim. Ma mère nous donnait de temps en temps un morceau de sucre, une cuillère de confiture
et un peu d'eau. Elle n'arrivait pas à trouver de place près du feu pour
préparer des pâtes avec sa farine, seuls les plus forts pouvaient préparer leurs
repas. Les gens restaient
allongés ou
tournaient en rond nerveusement, presque tous dénudés. Notre bunker était rempli à craquer car les habitants des maisons brûlées se réfugiaient chez nous. La fumée commença à entrer à l'intérieur, nous manquions d'oxygène, on ne
pouvait même plus allumer une allumette. Les gens s'évanouissaient en râlant, ne
pouvant plus respirer.
Au-dessus de nos têtes : du feu,
des fusillades, des chars, des canons, des voitures blindées contre une poignée de combattants juifs et contre
nous, cachés sous terre... Ceux
qui étaient
encore valides mouillaient des serviettes et les agitaient, se donnant
l'illusion d'un rafraîchissement...
Ils partageaient les
dernières gouttes de médicament. On a besoin de peu de choses au seuil de la mort. Ils se consumaient lentement comme une
bougie dont la flamme diminuait petit à petit.
J'étais allongée sur mon châlit, demi-consciente, quand ma mère tira violemment mon bras : - «
Vite, habille-toi ! Ils nous ont trouvé et ils frappent avec force à la
porte d'entrée ! ».
Comment mesurer la défaite
de l'espoir, combien de temps faut-t-il pour s'en apercevoir afin de continuer
la course contre la mort ?! Le temps d'une grenade jetée à l'intérieur, une échelle introduite, l'apparition des
silhouettes en uniformes verts, chaussées de bottes noires. Nous passâmes dans un univers différent : -« Alle heraus !
Sortez !! Ne craignez rien, vous partez pour travailler mais il faut obéir aux ordres !
Schneller ! (plus vite) ». Peut-être était-ce la vérité ?...
Après trois semaines d'enfermement nous vîmes la lumière du jour ! Les soldats craignant
que des personnes armées les
prennent pour cible, comme cela arrivait parfois, nous aidèrent à sortir.
Ils avaient peur des personnes armées qui
pouvaient ouvrir le feu, parfois cela arrivait. Finalement, notre groupe fut
joint à une
colonne de gens qui attendaient dans la rue. Nous étions au début du mois de mai. Dans le ghetto, nous
voyions des traces de combat dans les rues : des chars et des automobiles
blindées,
des maisons détruites,
même les
squelettesdes maisons étaient
transés en
gravats pour nous empêcher
de nous y c. On ela musique d'un piade l'autre côté du mu.

Commémoration au Kibboutz "Shirour"
(liberté) lors du troisième anniversaire de la révolte du Ghetto de Varsovie.
Sur les décombres du bunker de Mordechai Anilewicz au Ghetto de Varsovie, 19
avril 1946.
Halina Balin (avec une ceinture) sur
la gauche.
Nous arrivâmes, ma mère, Hilek, Héla et moi, pour la deuxième fois à « l'Umschlagplatz ». Nous retrouvâmes le bâtiment d'école et de police et nous fûmes
entassés à même le sol dans une salle de classe. Toute la nuit, nous attendîmes l'arrivée du train, sachant ce que voulait dire « partir travaà l'Est ». Cette conscience ne
changeait rien à notre
situation d'impuissance. La connaissance du futur, de l'ailleurs, nous
paraissait lointaine par rapport au cauchemar que nous vivions avant le départ du train. Nous n'avions pas le droit
de bouger, sous peine d'être
fusillés. De
temps en temps, un Allemand arrivait et choisissait au hasard une personne qui
devait lui donner de l'argent, de l'or, des bijoux ! L'un est apparu avec
des bouteilles vides dans ses mains.
Je serrais ma tête contre les
genoux de ma mère, me bouchant les oreilles avec les doigts. Ma mère se pencha sur
moi pour me protéger. Je ne voyais rien et n'entendais rien, ce moment dura une éternité. Je sentis ma mère sangloter.
Ma mère ne déprimait jamais et ne pleurait jamais non plus. En débouchant mes
oreilles, je découvris un silence, interrompu de temps à autre par le bruit de coups de
cravache qu'un soldat assénait sur mon frère dont le visage avait été roué de coups, ensanglanté, les yeux plissés de douleur, les lunettes brisées. Mon frère restait silencieux sous les
coups. Ensuite il s'assit, toujours silencieux, à côté de ma mère et de Héla. Il voulait boire, mais ma mère ne possédait qu'une bouteille d'huile dans son
panier...
A l'aube, les Allemands
s'abattirent sur nous comme des bêtes féroces, nous forçant par des coups et des fusillades à nous diriger en direction des wagons. Parmi les gens qui se piétinaient dans
l'escalier, je me frayais un chemin en me cramponnant à ma mère, de peur de la perdre.
Le trajet assez court entre
la sortie du bâtiment et l'entrée dans le wagon était couvert de cadavres. Le temps parcouru pour arriver au train paraissait interminable et je ne
sais plus à quel
siècle il
appartenait.
Nous montâmes dans le wagon. Aucun miracle ne se
produisit pour arrêter
cela. Les Allemands étaient
toujours puissants et cruels malgré leur défaite à l'Est. Ni la terre, ni le ciel ne
s'ouvrirent devant l'extermination d'un peuple rempli de désespoir et de
grâce.
D'ailleurs personne ne songeait à cela. On se préoccupait uniquement d'une chose :
comment éviter
le piétinement
de la foule. Devant les wagons, les soldats SS chargeaient les gens à coup de crosses. Ainsi poussés, ils tombaient les uns sur les autres,
s'engloutissaient dans les wagons, laissant la place aux suivants jusqu'au
moment où le
remplissage devenait impossible. Ensuite les portes étaient fermées et verrouillées.
Le train se mit en marche. Les
fenêtres
du wagon, petites et étroites,
disparurent, cachées par
les silhouettes des hommes les plus forts bouchant l'arrivée de l'air. Les gens se battaient pour avoir
quelques centimètres
de place, se querellaient, se piétinaient et étouffaient les autres avec leurs corps. On
s'arrachait les bouteilles d'eau, jetées de temps en temps par les Polonais depuis l'extérieur. Elles arrivaient le plus souvent
aux mains des plus forts. Les soldats SS tiraient en directions des gens qui voulaient fuir par
les ouvertures des fenêtres et à l'intérieur des wagons.
J'étais debout, collée à ma mère et regardais
la « malheureuse »
bouteille d'huile dans son panier. Dedans, nous avions du liquide mais rien à boire !!!
J'étais au courant pour Treblinka, mais ma mère m'assurait que nous allions au
travail. Je lui étais reconnaissante de n'importe quel mensonge, pourvu que le nom de
cette terrible station ne soit pas prononcée. Après
tout, cela m'était égal car je ne pouvais plus supporter de
rester dans ce wagon.
Je tombais sur le sol et les
autres tombèrent
sur moi. L'obscurité m'envahit
et je ne sentis plus rien. Subitement, quelqu'un tomba sur moi, sur mon visage
et sur mon nez. Je ne pouvais plus respirer ! En me démenant avec une force surhumaine, je ne
pus m'arracher de ce tas humain et de mes propres chaussures lacées, qu'en blessant mes jambes jusqu'au
sang. Je me débarrassais de
mes vêtements et me retrouvais au-dessus de ce tas de corps mourants ou morts,
près de la fenêtre. Je mis ma tête au dehors, le canon de la carabine du soldat SS toucha ma glotte.
J'absorbais l'air de tous mes poumons !
Le train s'arrêta à une
station. C'était la
nuit et la pluie tombait. Au cri de : « Raus !!! (dehors) », matraqués, nous sortîmes du train.
Nous partîmes en grandes colonnes, pataugeant dans la boue. J'avais soif au point
d'avoir envie de lécher cette boue. J'étais vêtue seulement d'un manteau d'homme que j'avais trouvé dans l'obscurité du wagon. Mais nous étions ensemble, ma mère, mon frère, ma belle sœur, ma cousine. Nous ne
nous étions
pas perdus ! La station d'arrivée s'appelait Lublin. Nous nous embrassâmes de joie, ce n'était pas Treblinka...
Je pataugeais dans la boue,
m'appuyant sur Hilek. Les Allemands tiraient sur les gens qui ne pouvaient pas
marcher. Ma mère déchaussa une
femme morte de ses chaussures à talons hauts. Il fallait que je
fasse 17 ans.
Hilek arracha un talon de
ma chaussure car j'avais des difficultés à marcher, l'autre talon resta par
manque de temps. Nous arrivâmes à l'endroit
où des
coups s'abattirent sur nous, séparant
les hommes des femmes. On disait que les enfants et les vieillards iraient
ensemble. Je dis à ma mère de ne pas
aller avec moi si j'étais prise. Ma mère me regarda droit dans les yeux et me demanda si je croyais vraiment
qu'elle pourrait me laisser ?!
Hilek nous prit dans ses
bras avant que le soldat SS le frappe avec une cravache, le séparant de nous
pour toujours. Au dernier moment, il m'avertit de ne pas m'appuyer contre ma mère, elle
risquerait de tomber. Le vent froid soufflait. Ma mère me
couvrit avec son manteau. Sur une place, nous restions debout dans une foule de femmes. Elle me dit que, bientôt, nous irions aux bains, recevrions
d'autres vêtements, nous pourrions nous réchauffer et prendre un repas dans une
baraque du camp. Je l'écoutais
avec impatience car un clou du talon cassé de ma chaussure et le talon haut de l'autre m'incommodaient. A ce moment, j'ignorais encore que ces chaussures me
sauveraient lors d'une « sélection » au camp de Majdanek. Une
« Aufseherin », une surveillante SS, sélectionnant les prisonnières à l'appel,
envoyait au gaz celles qui étaient
malades ou blessées aux
pieds. Elle m'arrêta, mais
s'apercevant que je boitais à cause du talon, elle me laissa
partir !
La sélection se passait toujours sur la place,
les femmes prises étaient
emmenées
quelque part. Notre tour arriva. Je m'appuyais contre ma cousine, me rappelant
l'avertissement de Hilek. Ma mère et
ma belle sœur marchaient derrière
nous. La douleur des mes pieds blessés m'empêchait de penser à autre chose. Mon attention était fixée sur ma démarche. Soudain, je me retrouvais dans une baraque remplie de vêtements. On nous ordonna de nous déshabiller et de garder nos chaussures. Enfin les bains ! Des dizaines
de femmes nues sous les douches, Halina et Héla également. Ma mère avait
raison : nous ne serons pas tuées, nous vivrons et travaillerons.
Je voulais la prendre dans
mes bras, me serrer contre elle... Parmi les femmes nues, je la cherchais des
yeux avec une inquiétude grandissante.
Mes yeux étaient fixés sur la porte, j'attendais. Elle va
certainement rentrer d'un moment à l'autre,
il faut qu'elle vienne ! Je sentais encore la chaleur de son corps quand
elle me couvrait de son manteau sur la place. Elle n'entra pas ! J'avais
peur de questionner ma belle sœur et d'entendre sa réponse. Ma situation était désespérée,
insensée, je
me trouvais dans un précipice.
La voix de Héla
disait : -« Ta mère
n'est plus là, c'est
moi maintenant ta mère... »
Je ne comprenais pas le sens de ses mots. Je tournais en rond me répétant : -« Maman n'est plus, maman n'est
plus !!! » Cela me dépassait.
Sous les coups et les innous fûmes
ées,
toutes nues et mouillée,
dansupièce
froide. On jeta des vêtements
bizarres et de tailles différentes,
on aurait dit un déguisement
de cirque. On m'attribua une robe noire de bal en dentelles. Héla raccourcit cette robe sur moi en la remontant
et en l'attachant autour de ma taille pour que je puisse marcher. Elle me supplia :
-« Halina, ne me regardes pas comme /span>ça, j'ai peur de tes
yeux ! » Quelle
expression avaient-ils mes yeux pour l'effrayer autant? Je ne savais plus
qui j'étais !

Hela Herszberg-Grynsztejn de Bydgoszcz, épouse de Hilek, 1941 ou 1942
(la photo provient du
frère d'Hela survivant, vivant en Russie ou il s'est réfugié après la guerre. Hela lui envoya du Ghetto avant que n'éclate la guerre entre l'allemagne et
la Russie.
Dans unebaraque surpeuplée, Héla se battait
pour trouver une place pour moi et pour elle, pour avoir une de ces gamelles de
soupe dont la quantité était inférieure au nombre de femmes affamées et assoiffées ; elle
se faisait bousculer pour accéder à la cuve contenant la soupe d'eau aux orties, pour obtenir une tranche de
pain. Nous ne nous quittions plus. Mais Héla maigrissait, faiblissait et dépérissait très rapidement.
Je me mis à mon tour à lutter pour survivre, pour ne pas la perdre.
Parfois, je lui laissais la
soupe, si j'obtenais une seule gamelle, et pour qu'elle l'accepte, je disais ne
rien pouvoir avaler à ce moment. Je la chauffais avec la chaleur de mon corps, la cachais des
capos qui nous obligeaient à porter des pierres. Sur le sol de la
baraque, pendant les heures de repos, nous nous serrions l'une contre l'autre
pour nous soutenir moralement. Nous partagions chaque miette de pain, chaque
cuillère de soupe, mais également nos pensées, nos remarques, utilisant parfois
l'expression de nos yeux quand nous manquions de force pour parler.
Ainsi s'écoulèrent quelques
mois, nous les vécûmes affamées, malades, battues, travaillant comme des esclaves. La menace des « sélections » était omniprésente, nous ne
pouvions pas nous laver, ni changer nos vêtements. Après l'appel parfois, les prisonnières étaient escortées aux bains,
mais personne ne savait si elles n'allaient pas à la chambre à gaz. L'incertitude ne nous quittait pas :
où allions-nous
maintenant ?
En juillet 1943, les jeunes
femmes les plus fortes furent choisies pour partir dans un camp de travail -
ici c'était
un camp de concentration et d'extermination. A la première sélection, nous ne fûmes pas considérées comme aptes, à la deuxième on me choisit mais je m'enfuis car Héla, trop maigre, n'avait pas été acceptée. La troisième fois, on nous accepta toutes les deux, on pris
toutes nos coordonnées, on
nous distribua de la soupe et on nous enferma à clef dans une baraque. Serrées l'une contre l'autre sur le sol, nous rêvions d'un camp meilleur.
La nuit, les Allemands survinrent
brutalement dans notre baraque, nous donnant des coups de crosses, hurlant et lâchant les chiens contre nous afin de nous
faire sortir dehors. Ils nous mirent en colonnes, comptèrent plusieurs fois jusqu'à l'exaspération et nous emmenèrent, toutes... à la chambre à gaz. L'intérieur ressemblait à une salle de douche. Nous y attendîmes, toutes nues, pendant
d'interminables heures.
Je tenais la main de Héla en regardant en direction des douches
d'où devait
venir le gaz : -« De quelle façon allons-nous mourir ? Qu'est-ce que c'est la
mort ??? »-me demandais-je. -« Les Allemands disparaîtront, peut-être, la guerre
se terminera bientôt ? » Le matin nous apprîmes qu'il y avait eu pénurie de gaz
cette nuit !... Nous survécûmes à notre propre mort.
Les soldats SS nous recomptèrent et les prisonniers de fonction nous
distribuèrent
du pain que nous avalâmes
immédiatement.
On nous dirigea vers un train. De nouveau des wagons à bestiaux, cette fois-ci les portes
restaient ouvertes et les soldats de la Wehrmacht y prirent places
confortablement. Ils
nous donnèrent l'ordre de nous asseoir en rang, les jambes écartées, l'une derrière l'autre pour
utiliser chaque centimètre de l'espace. Nous devions rester assises ainsi sous peine d'être fusillées si nous
changions de position.
Nous étions enfin
assises mais nous ne savions pas que cela durerait pendant quarante-huit
heures ?!
Le mois de juillet était chaud, nous avions faim et soif. Ne
pas bouger pendant le voyage était
une torture, comme si on recevait des piqûres d'aiguilles partout, dans tout le
corps engourdi. Nous
connûmes une nouvelle souffrance : être assises. Une femme du rang
voisin avait sa fille assise entre ses jambes, elle se leva à peine et
implora d'avoir la permission de se dégourdir un peu. Le soldat se mit debout, ôta la carabine
de son épaule et visa la femme. La peur nous glaça. Je pensais qu'il menaçait seulement cette
femme mais il tira et la balle se logea dans sa tempe. Son visage devenait de plus en plus blême et la femme tomba dans les bras de sa
fille. Le soldat remit
sa carabine à l'épaule, s'assit et grogna l'ordre de jeter le cadavre du train. La petite fille pleurait doucement sa mère, il lui dit de se taire car elle aussi « crèverait » bientôt, elle était juive ! Le train s'arrêta à la
station : Auschwitz. A la porte d'entrée, on pouvait lire en grosses lettres : « Arbeit macht frei » - «Le
Travail rend libre ».

Halina (Hala) Grynsztejn,
prisonière numéro 48693 à Auschwitz Birkenau.
Copie du registre d'Auschwitz- Birkennau d'Hala Grybnsztejn,
profession: fabriquante de brosse
Fiche remplie par les allemands le jour d'arrivée
d'Halina au camps d' Auschwitz Birkenau alors qu'elle
déclara que sa profession était fabriquante de brosse
Archives
du Musée d'Etat in
Les rangées de baraques
en briques, les barbelés électrifiés, les miradors équipés de mitraillettes comme à Majdanek. Dans les fenêtres et autour
des baraques, les silhouettes ne ressemblaient ni à des femmes, ni à des hommes, ni à des vieillards,
ni à des enfants... Les têtes rasées, des vêtements bizarres, incolores, d'énormes sabots boueux aux pieds, des visages
livides. Le mal infini. - «Je ne sortirais jamais d'ici. » -pensais-je, effondrée. Mais je
n'avais pas de temps pour réfléchir, il fallait réagir dans les règles du nouvel
enfer : ne pas perdre Héla dans cette foule de femmes étourdies et sauvages, savoir quelle
surveillante était la moins cruelle, quel métier devrais-je déclarer pour être utile dans le camp et pour échapper à la mort, où trouver une
gorgée d'eau !
Le soir-même, nous
ressemblions aux autres prisonnières, épuisées. Nos têtes rasées, un numéro tatoué sur l'avant-bras gauche, vêtues de
haillons marqués de longues croix à la peinture à l'huile rouge, des sabots lourds
qu'on ne pouvait extirper de la boue. Nous passions des heures à l'appel
quotidien, devant notre « block »,
dans la boue puante, sous les coups et les injures.
Après notre arrivée à Birkenau, les
dimanches, Héla et moi avons travaillé à la pose des rails. Nous appelions ces jours „owięcimskie
wychodne"- « les congés d'Auschwitz ».
Lors de nos premières journées, les Allemands transportaient pendant
la nuit les gens dans des camions couverts et les gazaient en route. La nuit,
en travaillant dans un atelier de couture qui se trouvait près de la rampe, nous voyions passer de tels
camions souvent doublés par
une « komandker »
avec un croix rouge comme une ambulance ! Nous pouvions entendre des cris et une prière à voix haute « Szma Izrael ! »
Nous souffrions de la faim.
Les rations journalières de soupe aux betteraves à l'eau et de pain étaient minimes.
Nous étions battues constamment, injuriées, nous vivions dans la saleté, envahies par
les poux, infectées par diverses maladies, celles-là même qui nous destinaient au gaz.
Nous ne pouvions pas nous
laver, ni changer nos vêtements pourris par la pluie et couverts d'excréments. Partout, une atmosphère d'hostilité régnait : au
travail - harassant, dans les châlits où nous dormions, aux latrines, près des cuves,
attendant la distribution de soupe. Dans tout le camp, on sentait l'odeur de chair humaine brûlée. Pendant deux ans, je la respirais nuit
et jour. Je rencontrais des gens conduits vers les chambres à gaz quand je travaillais dans un « bon kommando » du
« Canada » où l'on
triait les vêtements
des gazés et
trouvait la nourriture qu'ils avaient emportée.
La rampe où arrivaient constamment les trains ne désemplissait pas, les gens venaient de
toute Europe. Ils étaient
destinés à l'extermination par le gaz. Les chambres à gaz fonctionnaient jour et nuit. La masse
humaine dirigée vers
l'extermination étaisi
grande que nous, qui travaillions au « Canada », avions des difficultés pour passer dans le sens contraire, nous
divers le lieu de toù nous
trions les vêtements
des és,
destés à l'Allemagne.
Ujour, notre
« commando » de travail s'arrêta à côté d'un coavec un
bébé dans les bras. Ils nous demandèrent si la colonie juive était encore éloignée car ils
voulaient donner à manger à leur enfant. Nous nous tûmes. Ils avaient encore quelques mètres à parcourir pour
arriver au ciel, à leur dernière colonie où ils deviendraient fumée de cheminée. Au « Canada », je travaillais debout sur des tas de vêtements mêlés aux photos,
lettres, paquets de nourriture, ne pouvant plus prononcer un seul mot !
Les mots perdirent leur sens ! J'avais l'impression de vivre dans un néant où les gens du
monde avaient été emmenés, dépouillés de leurs vêtements et mis à nus. A notre tour, après avoir trié leurs bagages, nous serions jetés dans le feu. On appelait « Canada » en
yiddish : « keine da » ce qui signifiait : il n'y a
plus personne !
Quand on me demandait mon âge, je répondais 17 ans, comme ma mère me l'avait appris au ghetto. Un block
spécial
pour enfants fut ouvert au camp. Les enfants n'y travaillaient pas, mangeaient
du pain blanc, du beurre, buvaient du lait. Certaines femmes, attirées par les conditions de vie de ce « paradis d'enfants » se portèrent leur candidates pour
ce block, elles ressemblaient à des
enfants avec leurs têtes
rasées et
leur accoutrement. Personnellement,
je refusais de m'y rendre par peur d'être séparée de Héla. Les femmes se moquèrent de moi tout en essayant de me
persuader que dans ce block je pourrais aider ma belle-sœur. Au bout de
quelques semaines, tous les habitants de ce block furent mis sur des camions et
emmenés au gaz.
Héla se transforma en squelette
vivant. Ses joues s'étaient creusées, ses yeux étaient énormes, de ses jambes et de ses mains, il ne restait que des os. Je fuyais son regard quand elle me
suppliait d'aller demander à la « schtoubova » une ration supplémentaire de soupe. Je supportais mal de quémander et de
m'exposer aux coups et aux injures. Il était plus facile pour moi de lui
donner ma soupe. J'essayais de lui expliquer et me persuadais moi-même que, de
toute façon, la soupe supplémentaire ne calmerait pas notre faim éternelle ici et
que, si nous sortions d'ici, nous mangerions à notre faim. Héla
n'avait pas la force d'écouter
ce genre de « sages explications ».
Mais tous ces problèmes devenaient moins importants lorsque le
son du sifflet retentissait et lorsque nous entendions les mots
paralysants : 'toutes les juives à l'appel' ou 'les juives restent sur place après l'appel'. Nous
oublions alors la faim qui nous tenaillait, le froid, le gel, la douleur causée par l'agenouillement dans la boue ou
sous la pluie - souvent sans chaussures qui nous avaient été volées ou
prises pour nous punir. Nous
savions que ce moment était crucial pour nous, attendant le verdict de nos maîtres qui, d'un
geste de la main, nous dirigeaient à gauche : vers la mort, à droite :
pour continuer la vie de souffrance au camp.
Sur la Place, devant les bains,
je suivais Héla. C'était une journée d'automne, très claire. Nous avions été mises en rangs toutes nues. Les femmes faibles,
malades ou celles dont l'allure simplement ne plaisait pas étaient dirigées à gauche.
Moi, je me portais encore relativement bien, mais je craignais pour le sort de
ma belle sœur, elle avait peu de chance d'être épargnée. Enervée, inquiète, respirant avec difficulté, je me rapprochais
constamment de Héla pour la protéger de la vue des SS qui sélectionnaient. Mengele leva sa main et choisit
Héla à gauche ! Je la serrais de toutes mes forces contre moi en
m'imaginant que son sort dépendait d'une décision humaine. Après tout, ils pouvaient laisser vivre ma belle-sœur. Cela devait être
possible !
Les kapos me tiraient,
voulant me séparer de Héla. -« Qui
est-elle pour toi ? » - la voix froide de
« l'Unterscharführer » Taube posa cette question. -« C'est ma mère, ma sœur, ma
belle-sœur, je ne peux pas vivre sans elle ! » - expliquais-je fiévreusement,
m'adressant à lui comme à un être humain. Le maître de la vie et de la mort décida de me sélectionner avec Héla. La chef de
block, « blokova »,
obéissante, marqua nos numéros sur la liste de condamnées au gaz. Je serrais toujours Héla ne voulant
pas quitter ma place. -« Je ne mourrai spas maintenant - je me disais - pas aujourd'hui,
et je ne reviendrais pas sans elle ! » Je sentais en moi toute la
force de ma vie.
L'adjoint du commandant du
camp qui se trouvait face à nous, entouré des officiers regardant la sélection comme une pièce de théâtre, me fit signe du doigt de
m'approcher. -« Ferme-là ! » - coupa mes supplications-« sinon, tu
iras là-bas » - et il désigna le feu des cheminées du crématorium -«si tu te tais, je te laisserais partir avec ta « Schwägerin ».
Les officiers ricanaient, singeant mon « jaaa ?! »
(ouiiii !) incrédule. Hössler donna l'ordre à la « blokova » de rayer nos
numéros de la liste des condamnées à mort.
Je voulais sauter au coup
d'Hössler pour le remercier, mais une gifle magistrale me renversa par
terre. Ce fut ma deuxième naissance, pour Héla malheureusement, le temps lui était compté. Après la sélection, elle m'avoua, regardant ses mains
et ses jambes osseuses, qu'elle n'avait plus la force de vivre plus longtemps. Si elle respirait encore, c'était grâce à moi, parce que
j'étais vivante... J'essayais de la convaincre que la guerre se terminerait
bientôt, qu'elle guérirait et serait comme avant.
Héla savait mieux que moi que son
destin était scellé. Elle m'accompagnait encore à l'appel et au travail à l'atelier de
couture, rassemblant le reste de ses forces. J'essayais de l'aider, de la
soulager ; elle souffrait de maladies multiples.
En fraude pour qu'elle ne
soit pas bousculée par les femmes atteintes de diarrhées et parce qu'elle n'avait plus la
force d'y arriver, je portais les gamelles dans lesquelles elle faisait ses
besoins aux latrines.
Il y avait toujours des
centaines de malades parmi lesquelles on choisissait dix à quinze
personnes, qui pouvaient sortir, escortées jusqu'aux latrines lointaines et
surpeuplées. Faire ses besoins
dans les gamelles était strictement interdit et passible de la peine de mort. Mais je n'étais pas prise.
Comme si la punition n'existait pas, je ne pensais qu'à une seule
chose : vider la gamelle nécessaire à Héla. Elle était dévorée par la fièvre, par le scorbut et par une diarrhée de sang. Ses voisines me disaient
d'abandonner Héla car, malade de la tuberculose, elle pouvait me contaminer. Ces femmes
ne se rendaient pas compte de ce que représentait Héla pour moi, malade ou en bonne santé !

Latrines des prisonniers à Auschwitz Birkenau.
Elle ne pouvait plus quitter son
châlit et
n'arrivait pas à comprendre
la signification du son de sifflet d'appel. Les « schtoubova » la
sortirent sur une civière et
la posèrent
dans la boue près de
moi. Pendant l'appel, pour la première fois j'étais seule. Le regard de Héla me fixait comme s'il voulait me dire
adieu, me demandant de ne jamais l'oublier et de lui pardonner de m'abandonner.
Depuis, ce regard reste
gravé dans ma mémoire à vie. Héla fut emmenée dans la baraque du « Revier = quartier » avec d'autres malades. La
« blokova » me promit de m'emmener là-bas quand elle accompagnerait des
malades, plus tard. Elle nous traitait mieux, Héla et moi, depuis cette fameuse sélection. A
partir de ce jour, je ne mangeais pas mes portions de pain pour les porter à Héla, espérant que cela
pourrait lui redonner des forces et qu'elle reviendrait au block.
Elle était allongée sur un châlit en haut, ressemblant à un fantôme. Son visage s'animait à ma vue, elle me dévorait des yeux, répétant les mots : -« Halinka, tu es venue
me voir, tu es venue ! » Mon pain ne l'intéressait pas. Elle n'en avait plus besoin.
Ma visite fut très
courte, on me chassa en me rouant de coups. Quelques jours après, j'osai demander à la « blokova » des nouvelles
de Héla. Elle me répondit sèchement qu'elle n'était plus. Je voulais savoir comment elle était morte ? Sur son châlit ou gazée ? C'étaittrès important pour moi. La « blokova » arrêta un instant ses injures et ses coups, et
avec une voix plus humaine, me répondit
que Héla était morte sur son châli, de mort naturelle... Elle avait vingt . A partir ce
moment-là, plus pern'avait besoin de moi, je devins indiérente à tout, renfermée dans une
sorte de carapace.
J'étais seule, tout était hostile et étranger autour
de moi, je me forçais pour lutter et faire des efforts, même pour respirer. Dans cet univers où les gens destinés à la mort
arrivaient constamment par les trains, descendaient sur la rampe, face à mon block, où le feu des
cheminées et l'odeur de la chair humaine brûlée étaient omniprésents, je
vivais dans la boue, dans les maladies, couverte de gale, de plaies purulentes,
de poux, soumise au typhus et aux sélections, mais je vivais. Je ne devenais pas
squelettique. Je me frottais à la mort con, mais elle m'évitait. Je guérissais sans médicaments, ne prenant pas froid, nue et
pieds nus, dehors, sous la pluie et dans le froid. On aurait dit que mon organisme défiait les lois
de la nature... J'arrivais à cacher mes maladies, dissimulant mon âge qui me
condamnait à mort.
Je ne savais plus qui j'étais, à qui
j'appartenais. Mon transport, provenant de Varsovie et arrivé ici de Majdanek, était déjà parti avec la
fumée du crématoire depuis longtemps. Mes voisines de châlits
changeaient, arrivant par différents
transports, de pays différents
et elles aussi tombaient comme des mouches.

Halina
Birenbaum dans son bloc Numéro 27 à Auschwitz Birkenau.
Je passais deux fois Noël à Birkenau. Au camp, un sapin avait été éclairé par des lumières en couleurs, l'orchestre jouait au départ et à l'arrivée au camp comme tous les jours
d'ailleurs et à l'autre bout du camp, une flamme sortait de la cheminée provenant des
corps humains brûlés. Le jour de Noël, nous avons eu droit à de la semoule au lait au lieu de la soupe aux betteraves - c'était une fête organisée par nos maîtres, dans les
règles de l'ancienne tradition, mais dans un ordre nouveau : l'ordre
nazi.
Pendant les sélections, la couleur
de nos langues décidait de notre vie ou de notre mort, quand les Allemands choisissaient
d'envoyer à la mort les malades du typhus.
Ma langue ne m'avait pas trahi
durant la sélection,
elle devint blanche après, le
soir. La fièvre très élevée ne m'empêcha pas de
travailler pendant deux semaines, pourtant je ne mangeais pas et j'avais été battue sévèrement par la
garde de nuit. Lors de la sélection suivante, ma langue reprit sa
couleur normale. L'épidémie de typhus faisait des ravages, les
femmes mourraient sans sélection
pendant l'appel, au travail, au « Revier », les blocks se vidaient
massivement.
Lors de la dernière sélection, personne ne partit au gaz, la liste fut
seulement marquée par
les Allemands, nous l'oubliâmes
rapidement. Deux semaines s'écoulèrent. Après un appel du matin, on nous ordonna de
revenir au block.
Nous étions contentes
de ne pas aller au travail et de pouvoir nous réchauffer sur nos châlits. Nous n'étions plus que
trois après l'épidémie de typhus. Sous notre couverture, Fruma commença à raconter les
histoires de sa famille : sa mère et ses plats de cuisine, sa maison.
Subitement, nous entendîmes un vacarme dans le block. Des numéros avaient été prononcés, criés. Plongées dans nos
bons souvenirs, nous ne faisions pas attention à toute cette
agitation. Un numéro prononcé furieusement nous frappa comme la foudre tombée du ciel : Fruma !...
Elle s'arrêta au milieu d'une phrase et descendit du châlit. La chaleur de son corps restait encore sous ma
couverture, le son de sa voix dans mes oreilles. Elle partit à la mort avec
les autres femmes ainsi choisies, déshabillées à la sortie du
block, enveloppées dans des couvertures sombres et rêches, direction : la chambre à gaz. Fruma
avait 16 ans, travaillait dans un kommando très dur : «Aussenkomando »,
elle venait de guérir du typhus, mais sa langue avait déplu aux spécialistes allemands.
Sabina fut gazée, sa mère avait été tuée dans le wagon
qui roulait vers Auschwitz. Mais auparavant elle venait à l'appel et au
travail, avec ses yeux marqués par la fièvre et ses lèvres gercées. Elle portait le
sachet rempli de pain qu'elle ne mangeait pas, suppliant constamment :
-« Une gorgée
d'eau ! Une gorgée
d'eau ! ».
A cette époque, chaque
matin, je me levais du châlit, trempée, car au début, nous dormions à seize avec des femmes enfiévrées! Bientôt leur nombre
diminua à cause de l'épidémie et des sélections incessantes.
Une
« schtoubova » polonaise, Stasia, m'aida à fuir une sélection qui se déroulait dehors
par un temps très froid. Tout le monde devait passer nu et pieds nus devant un tribunal
de SS. A l'époque où Héla était encore en vie, Stasia me donnait parfois un peu plus de soupe
qu'elle distribuait. Le jour de Yom Kippour, elle désigna de service des prisonnières non-juives
dans notre block et au retour du travail, elle alluma une bougie, demandant de
ne pas sortir et de prier en silence, chacune à sa façon, pour que nous puissions arriver à la libération.
Dans le kommando
« Weberei », la petite Polusia me sauvait des punitions en m'aidant à fabriquer des
tresses de chiffons. Nous étions obligées de trouver d'abord des chiffons et ensuite de fabriquer un nombre
imposé de tresses. Plus tard, elle m'aida à me faire admettre dans le kommando
de « Canada »
grâce à l'amitié d'une
« schtoubova ». Là-bas, je mangeais enfin à ma faim mais je voyais de près le processus
d'extermination massive et de pillage.
Une « kapo »,
Alwira, du « Kartoffelkommando » me désigna pour un travail moins
difficile à la fabrication de la choucroute. L'endroit où le chou(x) fermentait était chauffé et on pouvait
manger des betteraves et du chou... Je n'aurais pas pu tenir longtemps en
transportant les importantes quantités de pommes de terre qu'il fallait mettre dans
les trous creusés dans le sol boueux. Plus tard, sur la route de la « marche de la
mort », Alwira me sauva également lorsque je n'avais plus la force de marcher et risquais d'être tuée par une
balle. Elle me traîna avec elle, malgré sa fatigue proche de l'épuisement. Le père d'Alwira était juif, sa mère allemande.

Mme Miriam Preis de Staszow, photo prise en Israël
après la guerre
Quand j'avais perdu Héla, madame
Preis et sa fille m'avaient accueilli sur leur châlit. Elles jouissaient de certains
privilèges (davantage de soupe, davantage de place sur un châlit, possibilité d'avoir des
chaussures qu'on distribuait en petites quantités, dispense de rester longtemps
pendant l'appel et de devoir sortir au moment des sélections), grâce aux services
qu'elles rendaient à une « blokova », une juive slovaque. J'avais fait la connaissance
avec (de) la mère et (de) la fille en venant au block des prisonnières
ukrainiennes pour faire du troc de pain contre de la pommade noire, destinée à soigner la
gale. Les Ukrainiennes
apportaient cette pommade de leur travail. Pendant cette visite, je voulais également voir une cousine qui habitait ce
block. Malheureusement, elle avait été sélectionnée. Une « blokova » l'avait proposée à la sélection en disant : -« Et
celle-là, Herr
Unterscharfuhrer ? » Il ne refusa pas.
En automne 1944, les transports
destinés aux
chambres à gaz
n'arrivaient plus au camp. Il n'y avait presque plus de juifs en Europe. Il restait seulement des
cendres dispersées, des affaires triées et envoyées en Allemagne. Moi-même, je participais à ce tri et à l'envoi. L'armée russe approchait. Les Allemands détruisirent les chambres à gaz pour effacer les traces de leurs
crimes. Ils commencèrent
le transfert des prisonniers vers d'autres camps en Allemagne. Nous pensions
que la fin tant désirée du « royaume d'Auschwitz » approchait, et avec elle notre liberté, à condition que les Allemands ne nous tuent
pas avant. J'avais déjà 15 ans. Madame Preis me donna des vêtements chauds, une paire de chaussures et
chaque jour une ration supplémentaire
de pain, tout cela troqué contre
des pommes de terre et du chou.
Le 1er janvier 1945, le jour du
nouvel an, nous ne travaillâmes
pas. Le temps était ensoleillé, partout de la neige... Je décidais de m'approdes barbelés, ce qui était permis,
pour causer avec Célina, une copine d'école de mon frère Marek. Je voulais lui dire que ma situation était meilleure.
Rozka m'accompag, malgré la mise en gardede sa mère. Nous savions que beaucoup de communiquaientde cette façon. Célina pr également des
faveurs d'une « blokova » et en tant qu'infirmière m'aidait un
peu. Elle partagea penun
certain temps le châlit de
madame Preis et de sa fille. Plus tard, on la transféra dans un autre secteur du camp
avoisinant le nôtre.
J'ai appelé : - « Célina ! » Subitement, un bruit de
tir retentit et en même
temps je ressentis une terrible douleur à la
main. Le gardien du mirador m'avait prit pour cible. Je courais à l'aveuglette derrière Rozka. La douleur était si forte
que j'aurais préféré me séparer de ma main. En tombant et me relevant, je voyais noir et dans ma tête tout
tournoyait : -« M'a-t-il tué - pensais-je- à un pas de la
libération ? Après cinq années de souffrances, je ne laisserais pas ma vie ! Je ne mourrais
pas ! » Je serrais les dents etles poings.
J'arrivais difficilement au
« Revier » avec Rozka. On y diagnostiqua que la balle était passée sous mon bras
gauche, pas loin du cœur, elle s'était logée près de la colonne vertébrale et du
poumon. Ma main gauche était sans vie. Il n'y avait plus de chambre à gaz, mais un médecin SS tuait
les malades sur leurs châlits. Je regardais la porte de la baraque avec effroi... Il viendra me
tuer.
Mon cas l'intéressa. Il donna
l'ordre de me conduire au milieu du block, sous la lumière, ausculta mes blessures et
ordonna de me conduire à l'hôpital des hommes pour sortir immédiatement la balle et opérer le nerf
disjoint... J'avais du mal à me concentrer et suivre les événements dans ma
tête, ne pouvant pas croire à ce qui m'arrivait.
Dans une petite baraque de
l'hôpital, les femmes, peu nombreuses, étaient allongées sur des châlits à trois étages, elles
venaient d'être opérées. Ce n'était pas des juives car les prisonnières juives n'étaient pas
soignées, par contre elles servaient aux expériences « scientifiques ». Un
jeune infirmier m'accueillit. Il était gentil et prévenant avec moi, ce qui me remonta
le moral car j'étais vraiment paniquée. Il me posa des questions concernant mon accident et également d'où je venais et
depuis combien de temps j'étais au camp. Ce genre de questions étaient souvent
posées par les gens qui cherchaient des nouvelles de leurs proches vus ou
aperçus quelque part ?...
Mes craintes sur mon devenir et
la peur de tout et de tout le monde m'envahirent. Seule la présence bienveillante de l'infirmier,
juif polonais, me réconfortait. A
Auschwitz... j'attendais deux opérations :
l'enlèvement
de la balle et la jonction du nerf radial !? J'avais froid dans le dos à cette seule
pensée ! La fièvre ne me quittait pas, j'avais perdu beaucoup de sang.
Deux médecins
prisonniers piquèrent ma main à l'aide d'une aiguille jusqu'au bras et je n'ai rien senti. Je ne pouvais
pas plier ma main ni bouger mes doigts... invalide à 15 ans !
Je me disais parfois que ce soldat allemand aurait mieux fait de me tuer.
L'infirmier, Abram, essayait de m'encourager. Il m'apprenait son adresse à Krosniewice,
m'assurait que la guerre se terminerait bientôt et que nous serions ensemble. On m'opéra sans anesthésie, la balle fut enlevée mais on ne pouvait opérer le nerf car toute la main était infectée.
Heureusement, après la libération, quand je commençais à me
nourrir normalement, ma main redevint normale, je pouvais la bouger. Mais
pendant des mois encore, j'étais
obligée de
cacher mon invalidité devant
les SS à Ravensbrück,
devant les chefs d'atelier et les jeunes des Hitlerjugend dans l'usine
d'aviation à Neustadt
Glewe. Avec ma main valide, je fixais des vis, et avec l'autre je maintenais
une pièce
d'avion par en bas. Je dissimulais mon invalidité en cachant ma main dans la manche d'un
manteau d'homme que m'avait donné Abram
avant l'évacuation
d'Auschwitz.
Le 18 janvier 1945, le soir, nous
sortîmes en
grandes colonnes du camp des femmes du secteur B2B. Sur la neige, les feux étaient allumés ; maintenant les Allemands
brûlaient des documents et non des êtres humains ! Une femme chercha Halina dont
la main était
blessée,
elle avait pour moi un paquet qu'Abram lui avait donné à travers les barbelés. Ce fut son dernier salut! Après la libération, il tomba malade et mourut,
n'arrivant plus à digérer normalement la nourriture après ces années de famine.
Je rencontrai Célina pendant cette marche désespérée sur
les routes verglacées
quand nous marchions jour et nuit jusqu'à la gare de Löslau. Nous avions été parquées
dans des wagons découverts.
Le vent glacial et le froid nous saisissaient pendant le transport. Nous arrivâmes au bout du voyage, toutes les deux
vivantes, à Ravensbrück.
Après des
heures d'attente dans le froid, on nous enferma dans un block disciplinaire
avec des criminelles allemandes.
Le block était surpeuplé et nous avions été placées sur
le sol dans une petite pièce. Il y avait des jours où nous ne recevions ni soupe ni pain. Les
Allemandes nous maltraitaient. Je me glissais parfois en dehors de la baraque
pour me laver sous une gouttière d'où coulait de la neige fondue. Au bout d'une
dizaine de jours, on nous compta et on nous emmena sous escorte au train.
Cette fois-ci, c'était un train de passagers et chauffé ! Les poux s'animèrent par la chaleur et commencèrent à nous déranger de plus en plus.
J'étais assise près de la fenêtre et je regardais le paysage de villes
et de villages allemands. -« Ils
sont arrivés chez
nous, à la
maison d'ici - pensais-je - ils tuaient tout le monde, brûlaient nos maisons,
pillaient tous nos biens ! Et ils vivent toujours dans ces belles maisons
avec leurs femmes, mères et
enfants ?! Sont-ils au courant de tout cela ?! Si je survis, plus tard,
après la
libération,
je voudrais revenir les voir et leur raconter... »
Libre, je suis arrivée en 1989 à Berlin, avec mon « L'espoir meurt le dernier » et mon
film : « A cause de cette guerre ».
Mais avant, il y avait le
mois de février 1945 qui commençait. Je passais encore de longs mois au sol de la baraque à Neustadt Glewe.
Pendant les premiers dix
jours là bas, nous
ne recevions aucune nourriture, plus tard une louche de soupe et un pain pour
dix femmes affamées.
Pour partager un pain on le mesurait avec un bout de ficelle. Parfois, le pain était vert de
moisissure à l'intérieur !... Pendant la marche de la mort, je mangeais et buvais de
la neige. Au moment où mes forces voulaient m'abandonner, les bras d'Alwira m'aidaient à surmonter l'épuisement. Les
Allemands tuaient les prisonniers qui se détachaient de la colonne, la route était jonchée de cadavres.
Le 3 mai 1945, les Allemands
changèrent
leurs uniformes contre des vêtements
civils, montèrent
sur un camion, tirèrent
des coups de feu en direction de la foule attaquant le dépôt de nourriture, et partirent. La porte d'entrée resta
ouverte ! A ce moment, je ne savais pas me réjouir de la liberté retrouvée sur le sol allemand, j'étais encore
emprisonnée dans mon éternel Hier. Je me sentais vieille et usée n'ayant pas de forces pour
recommencer une autre vie. Ce n'était pas encore le moment de la renaissance
dans la joie.
Après quelques semaines passées en déplacements avec
Célina, nous arrivâmes à Varsovie. Sur le chemin, à la recherche d'un comité juif, je
rencontrais mon frère dans la rue ! J'appris qu'il s'était sauvé par la petite fenêtre du train qui
roulait en direction de Majdanek. Il fut blessé par balle par des soldats SS qui
tiraient du toit du wagon. Il trouva de l'aide chez des paysans qui pansèrent sa
blessure et l'hébergèrent. Par la suite, un ami polonais, l'ingénieur Strojwas, lui trouva une cachette à Varsovie. En
janvier 1945, Marek retrouva la liberté dans Varsovie libérée et moi, je
suis rentrée des camps à la fin du mois de mai...

Frère, Dr. Marek Balin
Un an après, je partis
illégalement en Palestine avec des jeunes juifs rescapés de
l'extermination, orphelins comme moi. Nous traversâmes plusieurs frontières, séjournâmes un an et
demi en Allemagne, dans un camp 'UNRA pour les réfugiés, puis quelques semaines dans le
sud de la France.
Au mois de novembre, nous
montâmes sur un vieux rafiot de pêche dont le moteur tomba vite en panne et nous
naviguâme à la voile. Nous étions cachés à l'intérieur afin que les Anglais présen Palestine, étant smandat britannique,
ne noutrouvent pas et ne nous envoient au camp sur l'île de Chypre. Le 3 décembre 1947,
après avoir pasé deux semaines en mer, dans des conditions très précaires et dangereuses, nous arrivâmes à Tel- Aviv sans être repérés par les
Anglais. Notre bateau était parmi les premiers qui accostèrent dans le nouvel état d'Israël, reconnu par
l'ONU.
* * *
___________
1. Le
guet-apens de la rue Mila à Varsovie
En septembre 1942, le jour de Roch Hashana
(nouvel an Juif), après qu’ils eurent déporté la majorité des Juifs de Varsovie
au camp de la mort de Treblinka, les Allemands déclarèrent qu’ils avaient
achevé les déportations. Ils annoncèrent auusi que tous les Juifs qui restaient
dans le Ghetto devaient être rassemblés dans la rue Mila et dans les rues
adjacentes : rues Niska, Ostrowska et Krochmalna. Dans ce quartier serait effectuée une
sélection. Les Juifs ayant en leur possession un certificat de travail seraient
autorisés à rester dans le Ghetto et aucune autre déportation ne serait
effectuée. (Quelques jours auparavant, beaucoup de Juifs furent licenciés.)
De longues files d’attente, encombrèrent les rues
du dit quartier.
Une fois qu’ils furent tous là, des patrouilles
allemandes particulièrement agressives encerclèrent les rues, créant ainsi un
guet-apens. Les allemands commencèrent alors une sélection et une traque aux
Juifs encore cachés dans le reste du Ghetto. Les personnes âgées ainsi que les
jeunes enfants accompagnés de leurs parents furent sortis de la file, formant
ainsi une autre colonne qui fut conduite à l'Umschlagplatz d’où ils furent
déportés à Treblinka. Approximativement, 100,000 Juifs furent arrêtés durant
cette rafle et conduit vers leur mort. Aucun mot ne peut retranscrire la tragédie
vécue lors du guet-apens de la rue Mila.
Deux semaines après, les postes militaires
allemands furent démantelés. Le Ghetto fut confiné à quelques rues et converti
en camp de travail rempli d’ateliers et de placowka’s.
En mai 1943, après le soulèvement, le Ghetto de
Varsovie fut complètement et finalement
détruit.
2. Mon livre
en polonais est intitulé Nadzieja Umiera ostatnia (« l’espoir est le
dernier des morts ») et les deux éditions en anglais contiennent de plus
amples détails de mes années pendant l’Holocauste.
o
Halina Birenbaum, Nadzieja umiera ostatnia.
Panstwowe Muzeum Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, 2001. 276 pp. ISBN 83-85047-99-9
o
Halina Birenbaum, Hope Is the Last To Die. Publishing House
of the
o
Halina Birenbaum, Hope Is the Last To Die. A coming of Age
under Nazi Terror. A classic of Holocaust expanded with a new postscript.
M.E. Sharpe
Traduction
du polonais: Katarzyna Malczewska-Giovanetti
Maintained by Joanna Kregiel
![]()

La famille Birenbaum perient à Treblinka, la mère Rozia née Okuniew, le père Biniamin Birenbaum de
Lowicz et Dow (Bolek) debout à gauche. Chaim est l'unique survivant, debout à
droite.

Halina et son mari Chaim
Birenbaum, survivants de la Shoah, combattants dans le PALMACH, blessés, lors
d'un des cesser le feu pendanr la guerre d'indépendance, se promenant dans les
rues de Tel-Aviv.
![]()
Moje Lata - Wieki w Shoah – (Polish)
La Vie Comme l'Espoir - Mes Années - Siècle de
l'Holocauste (French)
The Monograph in Hebrew (Word Document)
La vida como esperanza (Spanish)
Das leben als Hoffenung (German)
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